27° dim. ord. C, 5 octobre 2025. Le Puy
Frères et sœurs, Jésus nous allèche avec cette affaire de l’arbre qui va se planter dans la mer ; ce serait en effet formidable. Mais cela nous semble curieux quand on sait combien Jésus se méfie du merveilleux. Comment bien comprendre ?
Tout d’abord, dans cette image il est question d’un arbre déraciné et planté en mer. L’image évoque un arrachement. Ce serait donc quelque chose comme cela que provoquerait la foi, si petite soit-elle ? Un fait : un groupe de jeunes, joyeux et bruyants, anime l’autobus. Un voyageur prend place près d’eux, sa Bible à la main. Pour faire rire les autres, un plaisantin lui demande d’un air grave : « Pardon monsieur, vous pouvez me renseigner ? Est-ce que c’est loin d’ici, le Paradis? » Le monsieur à la Bible regarde le garçon dans les yeux et répond d’un ton à la fois amical et sérieux : « Le Paradis, tu sais, il n’est qu’à un pas de toi. Ce pas il n’y a que toi qui puisses le faire. Tu peux le faire maintenant, de suite, ou plus tard. » Pensons aux « miracles » réalisés par la foi au cours de l’histoire. Les cathédrales : souvent on ne connaît pas les architectes. Ceux qui commençaient, savaient qu’ils ne la verraient pas terminée. Or, pour bâtir une cathédrale comme celle de Chartres, pour pouvoir harmoniser le travail de tous les corps de métier, il fallait un programme aussi compliqué et aussi ambitieux que celui pour la navette Discovery. C’est l’intelligence et l’art mis au service de la Beauté et de la Vérité, dans l’humilité et le désintéressement. En Occident ce sont les congrégations religieuses qui ont inventé les hôpitaux ; saint Marcellin Champagnat, saint Jean Baptiste de la Sales, les écoles pour les plus pauvres ; saint Vincent de Paul, la défense des galériens et l’accueil des orphelins. C’est la religion qui a donné les prix Nobels de l’Amour que l’on appelle les Saints. C’est le Père Damien qui a secoué la conscience mondiale contre le rejet des lépreux en allant prendre la lèpre sur l’île Molokaï où on parquait tous les lépreux de la région. Chacun peut aussi, en relisant sa vie, regarder les bouleversements que la foi lui aura donné de vivre : quitter un métier, quitter une orientation de vie, quitter une mauvaise habitude… Cela peut paraître anodin mais représenter beaucoup pour celui qui le vit. Un arrachement c’est éprouvant. Un arrachement pour se planter ailleurs. Il faut « faire le pas »…
Deuxièmement, il ne faut jamais isoler une parole de Jésus du reste de l’évangile. Jésus nous rappelle surtout que la foi est un long cheminement de toute notre vie. Il ne faut donc pas y rêver de claquements de doigts qui nous obtiendraient tout de suite tout. Et il indique la première étape de ce cheminement de foi: nous ne commençons pas par nos mérites, mais par être débiteurs de bien des personnes qui nous ont tellement servi avant même que nous ayons levé le petit doigt. Et derrière eux nous sommes infiniment débiteurs envers le Seigneur qui nous a tant donné avant même que nous existions et pour que nous entrions dans l’existence. La première étape de la foi et le socle sur lequel elle s’édifie toujours, c’est ce devoir de servir à notre tour ne serait-ce que par simple dignité. Après avoir tant reçu, nous efforcer de donner quelque chose de nous-mêmes, et en action de grâces, rendre de notre mieux. D’où la parole: ce n’est pas nous qui nous mettons à table, mais Dieu que nous servons. Alors que souvent, nous sommes un peu comme ce petit garçon qui avait fait sa facture à sa maman : « Pour être allé acheter le pain six fois : 3 euros. Pour avoir descendu la poubelle 12 fois : 6 euros. Pour avoir surveillé sa petite sœur : 5 euros.. » Quand sa maman lui a dit « Je vais te faire la mienne, il lui a dit : « Mais je te dois quelque chose, maman ? » Pour 7 ans de lessive, repassage et repas. Pour 7 ans d’achat de vêtements. Pour transport en voiture. Pour 200 nuits sans sommeil pour raison de santé. Etc… 0 euro »….
Mais le Seigneur donne aussi la suite du cheminement, dans un autre passage: cette fois il dit « heureux ces serviteurs que le Maître à son arrivée trouvera en train de veiller; vraiment je vous le dis, il les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira. » Ce deuxième temps de la foi, c’est accepter d’être nourri de toute la révélation surnaturelle, du don des mystères de Jésus et de l’espérance des biens à venir. Il consiste à lire l’évangile et à trouver notre vie dans les sacrements de l’Eglise. Dire « je suis croyant mais pas pratiquant », c’est la meilleure façon de se fabriquer un Jésus à son goût. Au contraire, c’est à force de fréquenter Jésus à la messe, de le laisser nous parler, que nous le connaissons tel qu’il est et pas tel que nous le rêvons.
La troisième étape de la foi n’est précisément plus la foi mais la vision bienheureuse lorsqu’à notre mort, avec la grâce de Dieu, nous pourrons voir Dieu: A chaque messe nous le disons : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau »; ici-bas ce sont comme des sortes de fiançailles; là-bas ce sera les noces, la totale possession mutuelle et éternelle. On comprend alors pourquoi Habaquc dès la première lecture, après avoir rouspété « Seigneur jusques à quand crier sans qu’il ne se passe rien ? » en vient à proclamer la vérité: « Le juste vivra par sa persévérance ».
En résumé et en conclusion, on comprend que notre époque qui est celle de l’instantané et de nos « droits » ne nous aide pas du tout à garder la foi. Il faut le savoir et ne pas nous étonner d’avoir à tenir, donc, des comportements différents des autres, mais que nous devons mener dans la bienheureuse espérance: c’est la joie d’être déjà avec notre Dieu – même si nous ne le voyons pas. C’est la force des petits pas qui nous font parfois marcher avec des « bottes de sept lieues » si Dieu le veut. Amen !
12 octobre 2025 28° C Jésus Prêtre
Frères et sœurs, nous connaissons bien ce récit de guérison des dix lépreux. Et nous comprenons facilement que Jésus nous invite à la gratitude. Il nous encourage à la reconnaissance. Mais cela pose un peu question : après tout, les neuf lépreux guéris ont obéi à Jésus puisqu’il leur avait dit d’aller se montrer aux prêtres. « L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » Alors je vous donne l’explication assez originale que nous donnait le Père Jean Galot, prêtre jésuite qui nous enseignait la Christologie, c’est-à-dire le mystère de la personnalité et de la mission de Jésus. Il fait remarquer que ce lépreux, dès qu’il a été guéri, a eu l’intuition que désormais le seul prêtre c’est Jésus. Fini le sacerdoce qui se déployait au Temple de Jérusalem. Cela ne se terminera effectivement qu’en 70, c’est-à-dire 35 ans près la mort de Jésus, mais l’épitre aux Hébreux explique en long et en large que Jésus est désormais le seul Grand-Prêtre.
Parmi les perles du bac il y a celle-ci : « Qu’est-ce qu’un druide ? Réponse d’un garçon de terminale : « Un prêtre à l’état sauvage »… ! Le Père Paul Best avait été nommé curé d’un gros bourg et de plusieurs villages alentour. Le dimanche suivant son installation dans le plus important des clochers, il s’en va dire la messe dans une des églises qu’il doit aussi desservir. Comme il n’y est encore jamais allé, il part plus tôt pour être sûr de trouver la clef de la sacristie, d’avoir le temps de vérifier que la sonorisation fonctionne bien, de se mettre au courant des habitudes auprès de la dame qui s’occupe de la sacristie, et d’être prêt à l’heure. Il arrive sur la place de l’église, et se gare tranquillement. Les rues sont quasiment désertes, mais en sortant de sa voiture, il aperçoit un homme en bleu de travail qui pousse sa brouette. Heureux à l’idée de faire connaissance de son premier paroissien, il s’avance vers lui, lui tend la main en disant : « Je suis votre nouveau curé »… Le paroissien en question s’arrête, pose sa brouette, mais il dit au curé un peu interloqué : « Je ne serre pas la main au chef des druides »… Dans toutes les cultures et les religions, des hommes ont été chargés de mettre le peuple en lien avec la divinité et désignés pour accomplir des rites sacrés. Mais le sacerdoce catholique est d’une toute autre nature. « Le prêtre n’est pas un sorcier, dit Guy Gilbert, mais un sourcier. » Il n’est pas l’homme du sacré, mais le disciple de Jésus qui a assez de candeur et de foi pour penser qu’il peut aussi être un apôtre. Le Père André Manaranche s’est rendu célèbre avec son livre « Prêtre à la manière des apôtres ».
Je garde précieusement le souvenir d’un petit Loïc. Il a six ans. Sa maman l’amène régulièrement à la messe. Au début des vacances de Toussaint il a aussi participé à la célébration d’éveil à la foi que j’animais. Le lendemain, il se retrouve chez une tante qui habite à une trentaine de kilomètres de chez eux. Loïc raconte à sa tatie ce qu’il a vécu la veille. Sa tante lui dit tout à coup : « Loïc, tu me parles de Pierre ; mais qui est ce Pierre ?… » Et Loïc, après deux secondes de réflexion et un haussement d’épaules explique : « C’est une sorte de Jésus qu’on trouve dans les églises » ! N’est-ce pas une belle définition du prêtre ?
Le Cardinal Sarah souligne : le prêtre n’est pas « un autre Christ », mais « le Christ lui-même » et il ne dit pas « ceci est le corps de Jésus », mais « ceci est mon Corps ». Il n’y a pas cependant de « transsubstantiation » du prêtre au Christ, car dans la transsubstantiation, le pain est changé au Corps, tandis que dans l’ordination la personne du prêtre demeure, et c’est par l’Esprit Saint en vertu d’une alliance indissoluble que le Christ est toujours avec lui et en lui pour rendre présent son Sacrifice et son Sacrement au bénéfice de toute l’Église, quels que puissent être par ailleurs les héroïsmes ou les trahisons du prêtre. Le mystère du Sacerdoce se joue au niveau de son être objectivement consacré, et non pas au niveau de son agir saint ou pécheur.
Un jour, pendant la messe, un petit garçon dit à sa maman, en regardant le prêtre célébrer : « Maman, je voudrais bien être prêtre. » Intérieurement, la maman se dit : « Amen, merci Seigneur. Comme c’est formidable, je ne suis pas digne d’une telle grâce. » Et à ce moment-là, elle entend l’enfant continuer : « Oui parce qu’un prêtre, ça ne travaille que le dimanche. »
Le ministère du prêtre est irremplaçable. Prenons une comparaison : C’est la guerre. Un père est fait prisonnier. Dans sa famille, on s’organise : épouse et enfants se répartissent les tâches et tentent de suppléer son absence. On ira jusqu’à embaucher quelqu’un pour les gros travaux. Cependant, la situation est-elle devenue normale ? Etre père, est-ce seulement un ensemble de tâches que des suppléants pourraient assumer ? N’est-elle pas plutôt une présence aimante, près d’une épouse et des enfants ? Il en est de même du prêtre dans l’Eglise. Il n’est pas d’abord celui qui fait ceci ou cela. Signe vivant du Christ, il est consacré, ordonné pour être cette présence aimante et active de Jésus ressuscité au cœur de sa famille. Amen !
30 C, Vals St Laurent, 26 octobre 2025
Frères et sœurs, cette parabole me rappelle un souvenir de séminaire. Chaque jour nous avions la messe. Ce jour-là nous venions d’entendre justement cette parabole du parisien et du républicain, comme disent les enfants. Nous nous attendions comme chaque jour à une homélie d’une dizaine de minutes. Au bout de quinze secondes le Père Jean-Marie était déjà assis et nous nous retrouvions en silence. Et pourtant nous nous souvenons encore de la leçon Il venait de nous dire simplement : « Est-ce que nous ne serions pas en train de nous dire ‘Merci Seigneur que je ne sois pas comme ce pharisien’ » ?
Quels travers Jésus dénonce-t-il dans cette parabole ? Trois essentiellement qui se rejoignent : – premièrement nous avons une propension phénoménale à juger les autres. J’ai connu dans un groupe quelqu’un qui était sans arrêt à l’affût des faux pas des autres. Il s’inquiétait des courriers que les autres recevaient, des visites, des coups de fils, et des personnes qu’ils fréquentaient. Agacé par cette manie, un ami lui a dit un jour : Tu as un souci obsessionnel de la vertu des autres ! Le mot était choisi judicieusement. Le coup a porté. L’antidote serait peut-être l’autodérision. Les juifs savent la cultiver. Exemple : C’est la veille de Kippour. Trois rabbins sont dans un taxi : le grand grand rabbin de New York, le grand rabbin de New York et le rabbin de New York. Le grand grand rabbin prend la parole et dit : – Je ne suis rien, mon Dieu, devant toi, vraiment rien, moins que la poussière de la terre ! A son côté, le grand rabbin le regarde, prend la parole aussi et dit : – Dieu, que suis-je devant toi ? Rien…, un souffle, un grain de sable perdu dans l’Univers ! Le rabbin à son tour prend la parole et dit : – Mon Dieu, je ne suis rien, rien qu’un misérable ver de terre ! Le chauffeur de taxi se retourne et dit : – Et moi, je suis moins que moins que moins que rien ! Le grand grand rabbin, le grand rabbin et le rabbin se regardent et disent : – Mais pour qui se prend-il celui-là ?
– Deuxièmement, nous nous justifions très facilement.
Quand lui n’achève pas son travail, je me dis, il est paresseux.
Quand moi, je n’achève pas mon travail, c’est que je suis trop occupé, trop surchargé.
Quand lui parle de quelqu’un, c’est de la médisance.
Quand je le fais, c’est de la critique constructive.
Quand lui tient à son point de vue, c’est un entêté.
Quand moi, je tiens à mon point de vue, c’est de la fermeté.
Quand lui prend beaucoup de temps à faire quelque chose, il est lent.
Quand moi je prends beaucoup de temps à faire quelque chose, je suis soigneux. Quand lui est aimable, il doit avoir une idée derrière la tête.
Quand moi je suis aimable, je suis vertueux.
Quand lui est rapide pour faire quelque chose, il « bâcle »
Quand moi je suis rapide pour faire quelque chose, je suis habile.
Quand lui fait quelque chose sans qu’on le lui dise, il s’occupe de ce qui ne le regarde pas.