Homélie Dimanche 30 juillet 2023. Les Carmes. 17° dim. ord. « A »
Frères et sœurs, le pêcheur de perles des mers du Sud qui plonge dans l’eau à la recherche de perles précieuses, fait une expérience singulière, celle-là même que, dans une mesure plus réduite, quiconque a pu faire si, en nageant, il a essayé quelquefois de piquer vers le fond. L’eau tend alors, de toute sa masse, à le repousser en dehors. Nous connaissons le principe d’Archimède au sujet de la poussée du bas vers le haut que reçoit un corps plongé dans un liquide. Plus le corps est grand et volumineux, plus la masse d’eau qu’il déplace est grandie, et plus forte, donc, est la poussée qu’il reçoit vers le haut. Tout tend à retenir ou à ramener le pécheur à la surface. Mais lui, il est attiré vers le bas par l’espoir et souvent même par la nécessité, car il tire de ce travail sa subsistance. Aussi, par de vigoureuses brassées et un mouvement rapide des pieds, il se dirige à pic vers le fond. C’est une fatigue énorme mais qui fait place à une joie irrésistible, au moment où son regard perçoit sur le fond de la mer une coquille entrouverte qui laisse entrevoir la perle luisante.
La recherche de Dieu et de toutes ses perles et trésors précieux, ses « grâces » est une aventure qui ressemble à celle du pêcheur de perles. Il nous faut en effet là aussi, aller vers le bas, nous plonger au-dessous du lac tranquille de nos propres illusions, descendre, descendre jusqu’à atteindre ce terrain solide où réside la vérité sur nous-mêmes, et tout cela alors qu’une force bien plus terrible que celle de la mer -la force de notre orgueil inné – tend à nous faire aller « en haut », à nous faire « émerger », à nous hausser au-dessus de nous-mêmes et des autres. Mais la perle qui nous attend au terme de ce cheminement, enfermée dans la coquille de notre cœur, est trop précieuse pour que nous nous désistions de l’entreprise et nous tenions pour vaincus. Saint Jean-Paul II avait intitulé son exhortation de l’an 2000 : Duc in altum que l’on peut traduire par « Avance en eaux profondes » !
Dans une de ses fameuses homélies du matin, le pape François a dénoncé deux « richesses culturelles » actuelles, qui « empêchent d’avancer » : la «culture du bien-être » et « la fascination du provisoire ». La « culture du bien-être », a-t-il expliqué, « rend peu courageux, paresseux, égoïstes ». Car le bien-être « anesthésie ». Le croyant « veut bien suivre le Seigneur, mais jusqu’à un certain point ». L’autre soi-disant ‘richesse’ actuelle : « la fascination du provisoire ». Les hommes d’aujourd’hui sont « amoureux du provisoire ». Si Dieu « est Seigneur du temps », les hommes eux sont « les seigneurs du moment », a-t-il poursuivi, et voulant devenir « maîtres du temps », les hommes « réduisent le temps au moment » en se contentant du provisoire.
Le premier moyen de durer dans la recherche, c’est de remercier, de rendre grâce, de faire mémoire des merveilles du Seigneur. Voilà pourquoi la messe, l’« eucharistie », est si importante dans la vie d’un catholique. Le deuxième, c’est de faire comme le Roi Salomon : demander le discernement, c’est à dire l’art de ne pas s’éparpiller, mais de s’unifier en s’orientant bien. Le troisième moyen : le temps fort. Que ce soit un pèlerinage, une retraite, ou une session, petite ou longue, il s’agit de partir ailleurs pour retrouver la ferveur première. Il y a un autre moyen traditionnel, c’est d’avoir toujours en cours la lecture d’un bon livre de spiritualité. Le Seigneur donne à certains le génie d’enrichir les voies les plus traditionnelles par les découvertes les plus récentes, comme le scribe qui n’invente pas, qui ne fait pas non plus seulement un inventaire mais qui tire du neuf et de l’ancien de son trésor. Il faut en profiter. Au fond, il s’agit de mettre en pratique un principe qui vaut tout à la fois pour la stratégie militaire, pour le mariage, et pour la vie spirituelle : Qui n’avance pas recule. Amen !
Homélie du 6 août- La Transfiguration 2023
Frères et sœurs,
la première lecture qui nous rapporte la vision du prophète Daniel est superbe. Le Vieillard c’est évidemment le Seigneur. Cette personne « comme un fils d’homme » qui s’avance vers lui et « à qui il est donné domination, gloire et royauté ; et que tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues servent », c’est Jésus. Pourquoi la couleur blanche, pourquoi ce blanc éclatant, plus blanc que blanc ? D’abord, parce que Dieu est Lumière c’est à dire parfaite Vérité, il n’y a pas un milligramme de mensonge en lui, pas la moindre poussière de péché. Deuxièmement, le blanc c’est le composé de toutes les couleurs. Comme on le comprend avec l’expérience de l’arc-en-ciel, la lumière du soleil est blanche mais c’est en fait un mélange de lumières plus simples qui une fois séparées (par un prisme ou une goutte d’eau de pluie) apparaissent sous la forme d’un rayon coloré. En Dieu tout le monde a sa place. Au passage, il nous est bon de nous rappeler que «Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » Jésus vaincra. Ne perdons pas de temps à marmonner contre son Plan voire à le contrarier.
La deuxième lecture, c’est le témoignage précieux de Simon-Pierre : « Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. » […] « Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » Le Père Alexandre Men, est un prêtre orthodoxe mort assassiné en 1990. Pendant la dictature soviétique il avait écrit une vie de Jésus que les chrétiens se transmettaient sous le manteau. Il a cette belle expression « Le Christianisme, ce n’est pas d’abord un ensemble de dogmes et de préceptes moraux, c’est avant tout Jésus-Christ lui-même. Remarquez bien, le Christ ne nous a pas laissé une seule ligne écrite, comme Platon ses dialogues. Il ne nous a pas transmis une table avec une loi, comme Moïse, il n’a pas dicté le Coran, comme Mahomet. Il n’a pas fondé un ordre religieux, comme Bouddha. Mais il a dit : “Je reste avec vous jusqu’à la fin des temps…” C’est en cela que consiste l’expérience la plus profonde du christianisme. » Dans l’évangile l’expression est belle et sans appel : « ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. »
Aujourd’hui dans notre époque si troublée, il faut se rappeler que dans une église, il est important de ne pas griller le feu rouge … Le Seigneur nous le rappelle parfois de façon étonnante. Cela s’est passé lors de la quatrième visite pastorale de saint Jean-Paul II aux États-Unis. Tout a commencé par un petit changement de programme improvisé au dernier moment, une pratique courante du pape polonais.
Nous sommes le 8 octobre 1995, le dernier jour de sa visite à Baltimore. Jean Paul II doit rencontrer les séminaristes du séminaire St Mary. Ici, il faut préciser que la rencontre doit se dérouler dans les jardins du séminaire. En arrivant, alors que son programme est bien chargé, le Pape demande s’il peut aller d’abord prier dans la chapelle du séminaire. Les services de sécurité qui n’avaient pas prévu le passage du pontife dans cette chapelle qui se trouve à l’intérieur du bâtiment, se mettent alors rapidement en action. Comme la procédure l’exige, ils fouillent minutieusement tout le bâtiment, en mettant l’accent sur la chapelle, où le pape voulait se rendre pour prier. Pour cela, ils font venir des chiens policiers, spécialement dressés pour la détection de toute présence humaine vivante cachée. Le but ? Déjouer un éventuel attentat ou une attaque contre le pontife. Ces chiens spécialement dressés sont beaucoup utilisés, notamment lors des tremblements de terre pour retrouver les survivants sous les décombres. Après avoir traversé les couloirs et les bureaux du séminaire, les chiens sont emmenés à la chapelle. Arrivés devant le tabernacle, ils s’arrêtent et se mettent à aboyer sans plus bouger, comportement qui signifie qu’une personne se cache à l’intérieur !
Emu par l’histoire, le père Élisée Noël, auteur de L’adoration qui plaît à Dieu (Saint-Paul), décrit dans son livre comment un jour dans une église, il l’a racontée à des enfants qui se préparaient à faire leur première communion. Puis, il leur a demandé pourquoi les chiens se sont arrêtés devant le tabernacle. Sans hésiter, ils ont tous répondu que c’était pour signifier que, dans le tabernacle, se trouvait une personne. « Je leur ai demandé qui était cette personne. Tous ont répondu : Jésus ! « J’aimerais que vous ayez tous une foi semblable à celle de ces petits enfants et surtout que vous la manifestiez en devenant des adorateurs en esprit et en vérité, le genre que notre Père du ciel recherche », écrit-il. Ne grillons jamais le feu rouge de la lampe du tabernacle. Sachons nous arrêter et établir un contacte simple avec celui qui promet de nous ressusciter !
Homélie du Dimanche 13 août (13 août 2023 19° T.O A.)
Quelle est la différence entre le temps d’Elie et le temps de l’évangile ?
Frères et sœurs, on peut faire une observation : il y a comme une contradiction entre la première lecture et l’évangile. Dans la première lecture il nous est dit que le Seigneur n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Le prophète Elie le trouve dans le silence, dans le murmure d’une brise légère. Et dans l’évangile, le Seigneur est bel et bien dans la tempête. Il se présente au moment où « la barque était déjà à une bonne distance de la terre, qu’elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. » Cela me fait penser à la petite histoire qui dit que le vent était tombé amoureux d’une petite vague de la mer. Un jour, passionné, il dit à sa princesse : « Ma petite vaguelette, que veux-tu que je te fasse ? Un typhon ? Un ouragan ? une tornade ? une tempête ? … Elle lui répond d’une voix douce : « J’aimerais mieux que tu me fasses une petite bise »… Le Seigneur veut nous faire des baisers dans notre cœur ; pour que nous les ressentions, il faut que nous nous arrêtions, comme le prophète Elie ou comme Jésus après ses journées harassantes, que nous fassions silence, que nous maintenions nos cœurs à l’écoute, à l’écart des vacarmes du monde.
Il n’empêche que la contradiction entre la première lecture et l’évangile n’est pas résolue. Qu’est ce qui fait que le Seigneur est présent désormais non pas seulement à l’écart de nos vies mais aussi dans tous nos tourments ? C’est la présence de l’Eglise représentée par Pierre et les autres apôtres dans la barque. Face à la souffrance, il y a la position d’un Albert Camus qui dit que tant qu’il y aura des enfants innocents qui seront écrasés par des camions, il ne croira pas en Dieu. Il y a aussi l’attitude de la femme syro-phénicienne de l’évangile dont la fille est très malade : devant l’apparente indifférence voire dureté de Notre Seigneur (« Femme, que me veux-tu ? je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdue d’Israël ! Il n’est pas bon de prendre le pain des petits enfants pour le donner aux petits chiens »), elle ne se laisse pas impressionner et elle continue de prier, de supplier. L’Eglise est aussi décontenancée que Albert Camus, par l’apparent silence du Seigneur, mais elle continue de lui faire confiance. L’Eglise est même chargée par le Seigneur d’être présente particulièrement quand la barque est agitée par la tempête.
En voilà un témoignage. Précisons que les tempêtes que nous pouvons traverser sont très variées, et elles ne se conjuguent qu’à la première personne du singulier. Une chrétienne d’une quarantaine d’années avait demandé à l’Eglise catholique de la « débaptiser ». Le baptême ne peut pas être effacé mais l’Eglise peut inscrire en marge du registre de baptême que la personne a demandé d’être radiée des registres. Elle renie son baptême. (Dans les temps anciens on appelait ces chrétiens des « apostats »). Et puis voilà que cette personne participe aux funérailles de sa grand-mère et soudain elle se dit : « Mes grands-parents vont participer au Banquet éternel du Seigneur et moi j’en serai exclue !… » Elle dit à un prêtre son désir de revenir dans l’Eglise, mais il ne tient pas vraiment compte de son tourment. Un autre lui dit que « c’est compliqué », qu’il ne voit pas ce qui peut être fait. Trois ans passent, elle n’est pas en paix. Mais un jour, par Providence, elle tombe sur un aumônier militaire qui prend son affaire très au sérieux. Il lui demande de s’abstenir de communier, jusqu’à ce qu’elle se soit confessée et reçu l’absolution. Ce qu’elle fait avant une messe au cours de laquelle elle est invitée à refaire sa renonciation au mal, et sa profession de foi baptismale. Elle signe très officiellement sa réintégration dans l’Eglise catholique. Pour elle c’est la paix et l’enthousiasme retrouvés !
Ce témoignage montre plusieurs choses capitales : d’abord, notre vie spirituelle la plus intime a aussi une répercussion au plan ecclésial. C’est ainsi que rompant avec le Christ dans son cœur, elle a voulu le faire écrire en marge de son baptême; et de même, ayant retrouvé le Christ dans son cœur, elle n’était pas en paix tant que l’Eglise ne le prenait pas en compte officiellement.
Ensuite, la fidélité de Jésus. Non seulement le baptême est indélébile, mais lui-même reste fidèle au lien de l’alliance, de sorte que tant qu’on n’est pas mort, on a encore la possibilité de revenir à lui, et il vient nous rechercher par tous les moyens que nous lui laissons encore. Et une fois retrouvés, nous sommes immédiatement rétablis dans notre dignité d’enfants de Dieu.
Enfin, le déclic qui l’a faite revenir a été la perspective de la vie éternelle, et c’est cela qui a le plus touché l’aumônier militaire : l’essentiel de la foi était là, intact, comme dit la Lettre aux Hébreux, c’est l’accès aux choses qu’on ne voit pas, l’espérance des biens à venir.
Si bien que ce qui est à retenir, c’est que si l’on se met en dehors de l’Eglise, on perd l’accès à Jésus; et c’est en revenant à l’Eglise que l’on peut le retrouver vraiment et en plénitude. Amen !
Homélie Fête de l’Assomption de la Vierge Marie
15 août 2023 Assomption.
Frères et sœurs, en plein cœur de l’été, la fête de l’assomption de la Vierge Marie est un rappel du cœur de notre foi et du but de la vie sur la terre : ressusciter.
De savoir que nous allons ressusciter, cela colore différemment nos deuils. De savoir que nous reverrons nos défunts n’enlève pas la souffrance de la séparation mais la redimensionne.
Comment se faire une idée de la résurrection ?
On peut d’abord remarquer que dans nos vies nous faisons des expériences de « résurrection ». Lorsqu’une personne sort d’une phase de dépression, ou d’un burn out par exemple. Ou bien lorsque nous sommes très fâchés contre un parent ou un ami, et que nous faisons l’expérience de la réconciliation, alors que tout semblait fermé, et que nous avions dit « c’est fini fini ».
Dans les crises conjugales, les époux s’étaient dit « c’est mort » et puis, à la faveur d’un week-end « Cana » organisé par le Chemin Neuf, ils redeviennent amoureux et trouvent la force d’affronter ensemble la cause des tensions qui paraissaient insurmontables. Il y a de très belles expériences de résurrection de l’amour. Toutes les fois où l’on s’est dit « c’est fichu » et puis où l’on a fait l’expérience que non.
La foi cela transforme la vie. Et cela vaut pour tous les « je crois », même les plus simples. Par exemple si vous dites « je crois qu’il va pleuvoir », cela a des répercussions : vous allez vous habiller autrement ou prendre un parapluie, ou programmer une autre activité. Donc, si je crois que Jésus est ressuscité, qu’il a ressuscité sa sainte mère, et qu’il va me ressusciter cela va changer ma vie en profondeur.
La résurrection c’est la continuité de l’identité personnelle. Le corps de Jésus est un corps qui reste marqué par l’épreuve, par la croix ; il porte les stigmates. Peut-être avez-vous entendu parler du Kintsugi ? Le Kintsugi est l’art japonais de réparer des pièces de poterie cassées avec de l’or. L’idée est d’utiliser les défauts et les imperfections pour créer une œuvre d’art encore plus forte et plus belle. Chaque fissure est unique et au lieu de réparer un article comme neuf, la technique vieille de 400 ans met en évidence les « cicatrices » dans sa conception même. La philosophie du Kintsugi est de considérer la casse et la réparation comme faisant partie de l’histoire d’un objet, plutôt que comme quelque chose à masquer. Non seulement il n’y a aucune tentative de cacher les dégâts, mais la réparation avec l’or met littéralement en valeur les cicatrices pour les sublimer. Croire que Jésus va nous ressusciter, c’est aussi croire qu’il va nous réparer façon Kintsugi (… !) Mais est-ce qu’on peut se représenter le Ciel, le temps de la résurrection, la vie de ressuscités ? Il faut savoir que nous avons trois modes de communication. Le mode conceptuel : nous parlons par exemple de « vision béatifique » : nous verrons Dieu et ce sera le bonheur parfait. C’est très beau mais cela reste dans la tête. Il y a aussi la sensation : on parle d’un banquet de noces, par exemple. Et puis il y a l’imagination. Laissons-la travailler. Avec discernement. Un chrétien dit qu’il essayait d’encourager un ami très souffrant qui le questionnait sur le Ciel. Au bout d’un moment, cet ami très malade lui a dit : « vous me fatiguez avec ce paradis pour bobos sur-vitaminés. Pour moi le paradis, ce sera le repos ». Pour lui c’était d’abord la cessation de toute souffrance.
Il nous arrive de vivre des instants d’éternité où tout nous semble en ordre, parfaitement accompli, où tout est en harmonie entre le monde et moi. Parce qu’en réalité, il n’est pas si facile que cela d’être à la fois un esprit et un corps. Mais nous faisons des expériences où cette dualité se fait parfaite harmonie. Un chrétien disait qu’il pratique la course à pied. Alors évidemment c’est une question de sécrétion d’endomorphine, mais au bout de trois quarts d’heure de course il fait l’expérience d’une certaine plénitude qui lui donne un avant-goût de ce que sera la résurrection. Mais il ajoute une autre comparaison parce que la course à pied, c’est très individualiste : au Moyen-Age on a représenté le ciel comme une foule immense de bienheureux qui sont dans la contemplation euphorique de Jésus. Aujourd’hui une image qui parle plus, du moins aux amateurs de football pourrait être celle d’un rassemblement dans un stade de 40000 spectateurs lorsque la moitié vibre à l’unisson parce que leur équipe vient de marquer un but. Cet instant d’exultation collective peut dire quelque chose de la résurrection. On pourrait prendre les comparaisons d’un concert de musique, ou d’une assemblée de prière. La liturgie dit bien que « la vie éternelle est déjà commencée ». Ces instants sont des anticipations. Un prêtre prenait aussi cette comparaison pour approcher le mystère du purgatoire. Il raconte qu’un jour il avait rendez -vous avec un ami pour aller voir un match de tennis à Roland Garos. Cet ami n’arrivant pas il est quand même entré dans l’enceinte du stade. Il ne voyait pas le match mais il entendait les clameurs du public. Au purgatoire, nous serons assurés d’entrer un jour dans le match mais ce sera le temps de la purification, de l’espérance laborieuse.
La Vierge Marie, elle, n’a pas eu besoin de subir une restauration façon Kintsugi. De par son Oui toujours parfait, accompli jusqu’au bout, elle est entrée directement au Ciel, corps et âme. Et si nous le voulons bien elle travaille à notre embellissement façon Kintsugi. Amen !
Homélie du Dimanche 20 août- La vertu de Détermination-20° dimanche ordinaire année « A ». 20 août 2023
Frères et sœurs,
Au cours de ce même voyage durant lequel il avait multiplié le pain et marché sur les eaux, Jésus arrive du côté de Tyr et Sidon, c’est-à-dire dans un territoire habité par les païens, et non par les juifs (aujourd’hui Tyr et Saida au Liban). Là, vient à sa rencontre une femme cananéenne, c’est-à-dire une descendante du peuple qui habite en Palestine avant la conquête des juifs. Donc une païenne. Elle se met à crier : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David. Ma fille est tourmentée par un démon ».
Et voilà la première douche froide. Il est écrit que Jésus « ne lui répondit rien ». Ce sont les apôtres qui interviennent pour intercéder en sa faveur, non pas tant par amour pour la femme, mais plutôt parce qu’elle les suit sans cesse. « Donne-lui satisfaction car elle nous poursuit de ses cris ! ». Deuxième refus net de Jésus : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël ».
Face au refus, la femme répond en intensifiant sa prière : « Seigneur, viens à mon secours ! ». Troisième phrase dure : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens ». A ce point-là, n’importe qui serait parti exaspéré. Pas la cananéenne. Elle prend plus de place à chaque nouvelle ligne de l’Evangile : « C’est vrai Seigneur, reprend-elle, mais justement les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ».
Jésus, qui s’est retenu avec peine jusque là, ne résiste plus et crie rempli de joie comme le ferait un supporter après le record mondial de saut de son athlète favori : « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! ». « Et, à l’heure même sa fille fut guérie ». Mais que s’est-il passé pendant ce temps ? Un autre miracle, bien plus grand que la guérison de la fille. Cette femme est devenue « croyante », une des premières croyantes issues du paganisme.
Si Jésus l’avait écouté lors de la première demande, tout ce que la femme aurait obtenu aurait été la libération de sa fille. La vie aurait suivi son cours avec quelques difficultés en moins. Mais tout aurait pris fin à ce moment là, et à la fin, la mère et la fille seraient mortes sans laisser de traces d’elles. En revanche, on parlera de ces deux femmes païennes anonymes jusqu’à la fin du monde.
Que de choses nous enseigne cette simple histoire évangélique ! Peut-être Jésus s’est-il précisément inspiré d’elle pour proposer la parabole de la veuve importune sur la « nécessité de prier sans cesse, sans jamais se lasser ».
On ne prétend pas expliquer la raison ultime de tant de prières inécoutées, il reste un fond de mystère pour nous, toutefois nous pouvons dire quelque chose. Dieu écoute même quand… il n’écoute pas. Le fait qu’il n’écoute pas est déjà une aide. En attendant d’exaucer, Dieu fait croître notre désir, il fait que l’objet de notre prière s’élève ; que des choses matérielles nous passons aux spirituelles, des choses temporelles à celles éternelles, des petites choses aux grandes. De cette façon, il peut nous donner beaucoup plus que ce que nous étions venus chercher au début.
Souvent, quand nous prions, nous ressemblons à ce paysan dont parle un ancien auteur spirituel, Dorothée de Gaza. Il a reçu la nouvelle que le roi en personne le recevra. C’est l’occasion de sa vie : il pourra lui présenter de vive voix sa pétition, demander ce qu’il veut, assuré que tout lui sera concédé. Arrive le jour fixé, le brave homme, très ému, entre en la présence du roi, et que demande t-il ? Un quintal de fumier pour ses champs ! C’était tout ce qu’il lui était venu en tête. Nous nous comportons quelquefois avec Dieu de la même manière. Ce que nous lui demandons, par rapport à ce que nous pourrions lui demander, est seulement un quintal de fumier, de petites choses, qui servent peu, et qui pourraient même se retourner contre nous.
Ce miracle nous enseigne donc sur la prière et sur le trésor de la foi si précieuse aux yeux du Seigneur.
Par la force d’une foi qui ne cesse de crier et de se battre, le mal lui-même est vaincu, et la puissance de Dieu libérée. Cette humble femme libanaise est le signe de l’Eglise de siècle en siècle criant vers Dieu qu’il vienne pour la délivrance du mal. Dans cette prière incessante et têtue, l’Eglise sur la terre comme au ciel mène le combat radical où se joue le salut du monde. L’Eglise sait que la réponse à la question du malheur innocent, ce ne sont pas des paroles, mais une Personne : Jésus, Dieu qui s’est engagé dans le combat contre le mal en se faisant l’Agneau immolé pour le salut. Amen.
Homélie Dimanche 27 août- La Sainte Eglise des pauvres pécheurs- 21° A ; 27 août 2023
Frères et sœurs, dans le Nouveau Testament, il y a une petite énigme au sujet du père de Simon. On le sait : à cette époque, il n’y a pas de nom de famille. Alors on dit « fils de ». Jésus fils de Joseph de Nazareth. Et Simon, celui que Jésus surnomme Pierre ? (Le nom « Pierre » traduit le surnom araméen : « Kéfa » donné à Simon. « Kéfa » signifie : « roche ». La pierre avec laquelle on bâtit et le roc sur lequel on construit.) Dès le début de son évangile, saint Matthieu précise : « Simon appelé Pierre » (Mt 4,18). Mais il n’a encore jamais précisé de qui Simon était le fils. L’appellation « fils de Jonas » vient donc comme un élément nouveau d’information sur la personne de Simon. Nouveau et surprenant… Parce que l’Evangile selon saint Jean, dit que le père de Simon s’appelle Jean (Jean 21,15-16-17). Ce n’est pas la même chose. Or, en hébreu « jonas » c’est la colombe. Il est probable que saint Matthieu fait un jeu de mots entre le nom Jonas et la colombe ; Il dirait en substance à Simon : « Heureux es-tu Simon, fils de la Colombe (« fils de l’Esprit Saint »), car ce ne sont pas la chair et le sang (ton père charnel, que celui-ci s’appelle Jean ou non) qui t’ont révélé que je suis le Fils mais mon Père qui est aux cieux (qui est maintenant aussi le tien dans l’Esprit Saint (cf Jean 1,12, ; Jean 20, 17 ; Galates 4,6 ; Romains 8,15).
Nous avons là une indication très forte sur la nature de l’Eglise. L’Eglise est faite de pécheurs. Mais ils sont fils de l‘Esprit-Saint. Simon est très fragile, très limité (l’avenir le montrera, son reniement au moment de la passion et ses tergiversations en tant que premier Pape sur les conditions d’accueil des païens convertis). Mais Jésus le transforme en pierre solide.
Deux anecdotes pour le dire en souriant (enfin, si l’on veut !). La première m’a été racontée par un ami prêtre d’un diocèse voisin du nôtre. Nous sommes en 1982. Ce jour-là une quinzaine de séminaristes sont réunis. Mon ami qui est chargé d’animer a choisi de proposer à chacun de dire comment il voit l’Eglise, ce que l’Eglise est pour lui. Il ne pensait pas que sa question allait provoquer une réponse qui allait le heurter tellement. En effet, quand est arrivé son tour, un séminariste a dit : « Je voulais donner ma vie à Jésus Christ, on m’a imposé la belle-mère »… ! Non l’Eglise n’est pas une belle-mère. Elle est l’Epouse de Jésus, le Corps du Christ. Sainte Jeanne d’Arc au cours de son procès à Rouen : « M’est avis que l’Eglise et Jésus, c’est tout un ». L’Eglise est indissociable de Jésus. Sans l’Eglise Jésus, un personnage du passé. Grâce à l’Eglise, le vrai Jésus, Chemin, Vérité Vie actif aujourd’hui.
Autre anecdote plus célèbre et plus édifiante. Le saint Pape Jean Paul II Le Grand, vient à Lyon en 1986. Le stade Gerland est rempli de jeunes. La soirée déroule un jeu scénique qui lance des questions au Saint-Père. Ce sont des questions de jeunes, mais on peut penser qu’elles sont un peu téléguidées. A ce moment-là en France, il n’y a pas que des… ultramontains (favorables à Rome par-delà les montagnes des Alpes). Il y a même beaucoup de Gallicans (plutôt pour les théories des Gaulois). Question : « Saint-Père, nous ne voulons pas d’une Eglise clefs en mains ». On voit le jeu de mots habile voire douteux puisque Jésus a remis à saint Pierre les clefs de l‘Eglise. Autre question : « nous ne voulons pas d’une Eglise qui a des rides ». Sous-entendu : faisons enfin du neuf ; renversons la table. Mais saint Jean-Paul II n’est pas tombé de la dernière pluie ; on ne le piège pas facilement. Il répond : « Oh non, moi non plus je ne veux pas d’une Eglise qui a des rides ». Et il poursuit : « Mais pourquoi l’Eglise a-t-elle des rides ? Parce que ses membres sont pécheurs. Et quand nous ne serons plus pécheurs, l’Eglise n’aura plus une seule ride ».
L’Eglise est Sainte parce qu’elle donne le Très Saint. Mais son personnel est toujours à convertir ; c’est être adulte dans la foi que de savoir que nous avons à nous améliorer, à nous bonifier, à nous sanctifier en permanence. Pour être le Rocher, la Pierre sur lequel Jésus peut en édifier d’autres. Amen !