3° carême B 3 mars 2024 Les Carmes

Frères et sœurs, ce dimanche, nous assistons médusés à une opération coup de poing menée tambour battant. Le Seigneur chasse manu militari les marchands du Temple. On en reste pantois. Et Jésus n’y va pas de main morte. On voudrait se mettre tout le monde à dos on n’agirait pas autrement. Un acte prémédité par le Maître, en plein cœur du Temple : « il se fit un fouet avec des cordes » note saint Jean. Ce n’est pas une incivilité c’est une provocation !

La tentation est grande de masquer pudiquement cette scène ou bien au contraire de la récupérer pour justifier toutes sortes d’attitudes. Les uns ont voulu voir en Jésus un anarchiste échevelé, un genre de Che Guevara évangélique. D’autres au contraire ont applaudi celui qui vient rétablir l’ordre et les préséances.

Jésus n’est pas un homme de parti. Il est le zélote du Père. S’il se fâche, c’est qu’on ne badine pas avec l’amour…. Un jour, dans une interview, on demande à sœur Emmanuelle  : — ma sœur pour quel motif avez-vous quitté une vie paisible de religieuse pour aller vivre dans les bidonvilles du Caire ? Est-ce par pitié pour ces miséreux, par solidarité avec les pauvres, par charité chrétienne ? — Mais pas du tout Monsieur, répond vivement la sœur, c’est par révolte !

Le geste, si frappant, c’est le cas de le dire, de Jésus qui expulse les vendeurs du Temple, n’est pas un acte politique ou économique qui dénoncerait l’argent ou le commerce. Son geste est un acte prophétique. Ce sont les bœufs, les brebis, les colombes, animaux du sacrifice que Jésus chasse du temple. Pourquoi ? parce qu’il n’y a plus dorénavant qu’un seul sacrifice rédempteur : celui de la croix. C’en est fini de cette grande boucherie animale qu’étaient les sacrifices de l’ancienne alliance. Désormais Jésus est à lui seul le prêtre, l’autel et la victime. Le même qui s’est fait un fouet a été flagellé. Le même qui a chassé les marchands s’est laissé vendre comme une marchandise. Le même qui a dispersé les agneaux est le véritable Agneau de Dieu qui pour notre salut s’est laissé conduire à l’abattoir.

Il est la victime mais il est aussi l’autel qui la reçoit et le Temple tout entier. Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai dit Jésus, le fouet à la main. « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple ! » lui rétorquent les Juifs mi-stupéfaits, mi-goguenards. Quarante-six ans, c’est un bail ! Je sais bien que les travaux ont toujours du retard mais tout de même… Cette durée situe le gigantisme du chantier entrepris par Hérode pour agrandir et embellir le Temple. Historiquement, on le sait, c’est en l’an 19 avant notre ère qu’a été donné le premier coup de pioche de cet édifice titanesque. 19 avant notre ère : certains disent que c’est précisément l’année où la Vierge Marie serait née. Derrière la simultanéité des deux évènements, il y aurait un Clin Dieu : au moment même où Hérode déploie dans le faste son projet pharaonique de construction d’un Temple pour le Très-Haut, Dieu suscite dans la plus totale discrétion, la petite fille immaculée qui abritera en son sein le Seigneur de Gloire. Quarante-six ans plus tard, soit en l’an 27 ou 28, a lieu la scène de l’évangile. Tout cela est chronologiquement plausible.

Plus besoin des autres animaux, ni du temple, ni du sacerdoce lévitique. Nous avons tout en l’Agneau promis depuis Abraham (« C’est Dieu qui donnera l’agneau pour le sacrifice, mon fils ») l’Agneau qui enlève les péchés du monde.

Que faire ? élaguer… Le carême et la vie chrétienne nous invitent donc à un élagage pour nous concentrer sur l’agneau. La sœur de sainte Thérèse de l’enfant-Jésus, Céline, entre finalement au couvent de Lisieux. Elle a quatre ans de plus que Thérèse mais elle est restée dans le monde pour s’occuper de leur père Louis, très malade. C’est là que Thérèse la forme à la vie intérieure, en lui confiant ce qui deviendra, peu à peu, la « petite voie de l’enfance spirituelle ». Ainsi, Céline est vraiment la première disciple de Thérèse. Un jour, Céline demande à sa sœur tout ce qu’elle aurait à acquérir pour devenir une bonne religieuse. Sainte Thérèse répond avec une fraternelle franchise : ne dites pas à acquérir, dites plutôt à perdre ! En effet, c’est par le dépouillement que commence le chemin de rédemption ! A chacun de chercher ce qu’il lui faut élaguer pour laisser toute la place à l’Agneau ; il veut faire le ménage et embellir le Temple que nous sommes. 

10 mars 2024 4ème Dimanche de Carême, de Lætare

« celui qui fait la vérité vient à la lumière »

Frères et sœurs, voilà une Parole de Jésus qui peut nous éclairer.

Qui ne constate ce climat lentement instillé de mensonge banalisé qui porte partout avec lui une immense défiance ? Elle finit par être bien pénible et pesante cette impression que tout le monde peut dire absolument n’importe quoi et son contraire sans qu’aucune vérification ne soit possible ni même envisagée. Derrière la façade des chasses aux fake-news il faut bien se rendre à l’évidence : nous avons perdu peu à peu le culte de la vérité.

Je voudrais rappeler un temps pas si lointain, où le mensonge était tenu, non comme un moyen comme un autre d’arriver à ses fins, mais comme un péché particulièrement grave car il indiquait une complicité avec le diable, Père du mensonge.

En 1917, les petits voyants de Fatima saint Francisco et sainte Jacintha, sont deux enfants qui, comme beaucoup d’autres à leur époque, ont été élevé dans l’horreur du mensonge. Leur père, Manuel Marto, a certes du mal à comprendre ce qui a pu se passer pour eux à la Cova da Iria. Cette histoire d’apparition d’une belle dame, de vision, de message, tout cela est étrange et dépasse totalement l’humble paysan. Mais il y a une chose qu’il sait ; ses enfants ne mentent pas. Ils sont incapables de mentir. Car c’est la base de l’éducation qu’ils ont reçue, ils ont été formés dans l’exécration du mensonge. Dès que le moindre mensonge s’instille quelque part, on le sait bien, la confiance se perd, la vie commune devient un enfer de soupçon permanent, le diable a gagné. On pressait Francisco et Jacintha d’avouer qu’ils avaient rêvé, que tous ces prétendus signes célestes n’étaient que des sornettes, des boniments, qu’ils n’avaient rien vu du tout. On les menaçait de l’huile bouillante s’ils ne confessaient pas que les évènements de Fatima n’étaient que pures inventions de leur part. On leur promettait des récompenses s’ils revenaient à la raison et reniaient toutes leurs allégations. Mais le petit Francisco de répliquer avec candeur : « nous voudrions bien vous faire plaisir, Monsieur le Juge, en affirmant que nous n’avons rien vu, mais nous ne le pouvons pas, car ce serait un mensonge ! » Or, pour un vrai chrétien, le mensonge, c’est purement et simplement impossible. On ne mange pas de ce pain-là.

Certes, me direz-vous, mais il y a mensonge et mensonge. Ne faut-il pas distinguer entre la tromperie et un certain amoindrissement de la vérité quelque fois nécessaire pour ne pas heurter, pour ménager les susceptibilités, pour favoriser le vivre ensemble ? Le prieur de la Grande Chartreuse, Dom Dysmas de Lassus, a montré dans un livre remarquable que la plupart des dérives sectaires dans les communautés religieuses avaient commencé par une toute petite entorse à la vérité, juste pour ne pas faire de vague. Gardons-nous donc de toutes ces finasseries car comme l’écrit saint Augustin s’imaginer qu’il pourrait y avoir un mensonge exempt de péché, c’est se tromper grossièrement.

Dans la Divine Comédie, Dante illustre le sort misérable réservé à ceux qui pèchent contre la vérité. Quand il visite l’Enfer, il aperçoit avec effroi au plus bas de ce gouffre dont on ne peut sortir, les faussaires. Pourquoi ces derniers sont-ils au plus profond de la géhenne, comme les plus misérables ? J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi la pire des situations était dévolue à ceux dont le péché, à tout prendre, me paraissait moins grave que tant d’autres assassins, tortionnaires, proxénètes et autres exécrables spécimens. La réponse est pourtant simple. Quand un pécheur se repent, on peut supposer que son amendement est véritable et cela suffit pour qu’il s’ouvre à la généreuse miséricorde de Dieu. Mais le repentir du menteur, on peut douter qu’il soit sincère…Comment savoir si les regrets qu’il exprime ne sont pas un mensonge de plus… une ultime tromperie. Qui peut faire confiance au menteur ? N’est-ce pas le Diable, menteur dès le commencement, qui lui inspire jusqu’au terme le vain espoir de flouer une dernière fois le Souverain Juge ?

L’Ecriture est sans ambiguïté, le lot des menteurs, c’est l’Etang brûlant de feu et de soufre (Ap 21,8). Au ciel en revanche, il n’y aura que des saints rayonnants de vérité. Si nous prétendons en être, assurément, quelques ajustements sont nécessaires à notre conduite et à notre être faussés. Que cela ne nous effraie pas, Dieu y a miséricordieusement pourvu et c’est lui-même qui va réparer sa pauvre créature. Nous avançons vers Pâques. Amen !

5°dim. de carême 17 mars 2024

Frères et sœurs, trois questions :

Quel est le désir du Seigneur exprimé dans ces textes ?

Dans quel but il nous interpelle ainsi ?

Et quels moyens pour y répondre ?

L’interpellation qui jaillit des textes de ce dimanche : est-ce que tu me fais confiance ou non ? La Lettre aux Hébreux est claire : « il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. »

Jérémie, lui,  emploie le vocabulaire de l’alliance mais c’est la même interpellation : Est-ce que tu es mon allié ou non ?

Tout a été fait pour que nous entrions dans cette confiance obéissance coopération avec Jésus : s’il peut réclamer l’obéissance-confiance, c’est que lui-même a avancé toute sa vie, pas après pas, heure par heure, dans la confiance-obéissance à son Père. « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous »

Et si nous entrons dans la confiance-obéissance à Jésus, que va-t-il se passer ? C’est écrit :

  1. Sa Loi d’amour sera inscrite dans nos cœurs. Quand dans nos cœurs il n’y a que cet impératif : Aime ! quand cette injonction prime sur tout le reste, c ’est le plus grand bonheur. Hélas, parce qu’il n’y a pas cette confiance-obéissance à Jésus, il y a tout le reste dans nos cœurs, comme « sois le plus fort, sois le plus rusé, sois la plus belle, sois le plus riche, sois celui qui a toujours raison, sois le plus célèbre, sois le moins dérangé possible », toutes choses qui nous empoisonnent la vie.
  2. Nos péchés seront pardonnés.  Quel bonheur de savoir que l’ardoise est effacée, que nous n’avons plus de passif !
  3. Troisième fruit de cette obéissance-confiance en Jésus : le salut éternel.

Qu’est-ce que ce salut éternel ? Jésus nous le dit avec l’image du grain semé.  Cette image répond aux deux questions essentielles que nous essayons d’oublier mais qui demeurent au fond de tous nos cœurs. 1. Y a-t-il une vie APRES la mort ? 2. Peut-être vous rappelez-vous ce slogan publicitaire assez astucieux et malicieux qui posait la question : « Y a -t-il une vie AVANT la mort ? »

Après la mort. Des égyptologues ont raconté comment ils étaient parvenus à la chambre funéraire d’un pharaon à travers le labyrinthe des galeries. Quand enfin ils ont découvert la momie vieille de 3300 ans, ils ont eu la surprise de trouver autour d’elle des amphores qui avaient contenu de la nourriture : signe que cette civilisation croyait en une survie de la personne. Or, une de ces amphores contenait des grains de blé parfaitement conservés dans des conditions atmosphériques idéales et à l’abri de tous les animaux. Curieux de savoir s’ils pouvaient pousser, ils les ont mis en terre. A leur grande surprise, ces semences endormies depuis des milliers d’années ont germé et poussé jusqu’à la moisson… ! Nous pouvons aujourd’hui acheter sur le marché du pain fait avec les grains de blé trouvés dans les tombeaux des Egyptiens. Cela s’appelle du blé kamut. Nous avons en nous un germe de bien plus que 3300 ans, un germe d’éternité !

Si l’on nous donnait une graine inconnue en nous demandant de dessiner le résultat de sa germination, nous en serions incapables. En revanche nous savons bien qu’un pépin de pomme n’a jamais donné un épi de blé, qu’un noyau de cerise n’a jamais donné un prunier, qu’un bulbe de dahlia n’a jamais donné un plant de pomme de terre, qu’une graine de souci n’a jamais donné un chou, qu’un bulbe de tulipe n’a jamais donné un glaïeul. Cela signifie qu’au Ciel, nous nous reconnaîtrons. Sous quelle forme ? Nous n’en savons rien. Mais nous ne perdrons pas notre personnalité. Nous nous reconnaîtrons parce que chacun est unique. Nous serons transfigurés par la Lumière du Seigneur. De l’autre côté du voile, nous entendrons le Seigneur nous appeler à lui comme il a appelé Lazare : « Viens, dehors ! » Ta place n’est pas dans un tombeau : je t’ai créé pour la vie ! »

Y a-t-il une vie avant la mort ? Pour le grain de blé il y a trois façons de mourir : Accepter d’être désagrégé mais alors atteindre son plein épanouissement. Etre moulu par la meule du minotier ; c’est une autre façon de s’épanouir en donnant la vie à d’autres. Mais aussi moisir parce qu’il est resté caché dans le grenier, parce qu’il n’a pas voulu prendre le risque de se donner. Un enfant à qui un prêtre demandait ce que sa communion allait lui apporter, a répondu de façon très inspirée : « Je vais pouvoir me donner à Jésus ». Jésus est le grain moulu, pétri dans le pétrin de Gethsémani, cuit dans le four de la Passion, sorti du four de la résurrection au matin de Pâques, qui nous permet de donner à notre vie le vrai sens, le sens du Ciel et nous en donner un avant-goût dès que nous prenons le risque de nous oublier pour nous donner. Amen !

Saint Joseph 19 mars 2024 « Quand Joseph se réveilla ».

C’est incroyable ce qu’on peut dormir dans la Bible, et aux moments les plus décisifs.

Une torpeur s’abat sur Adam au moment de la création d’Eve (Gn 2, 21), puis Abraham au moment de son alliance avec Le Seigneur (Gn 15,12).

Plus loin, Jacob sommeille sur une pierre quand lui apparaît l’échelle reliant ciel et terre (Gn 28, 11).

Le prophète Elie, effrayé par Jézabel, plongeant dans le désespoir au point de vouloir mourir, se couche et s’endort sous un genêt (1 R 19, 5). C’est là qu’un ange le touche, le nourrit et lui rend l’espérance.

Dans les Actes des Apôtres (20,9), Paul en personne prêche la Bonne Nouvelle dans une maison : ce devait être quelque chose ! Et pourtant un adolescent, du nom d’Eutyque (ce qui veut dire « heureuse chance »), assis sur le rebord de la fenêtre, se laisser gagner par un profond sommeil et tombe du troisième étage. L’apôtre se rattrapera d’avoir été aussi soporifique en ressuscitant le jeune homme.Ce n’est qu’une petite sélection.

Mais parlons un peu du sommeil. Le combat spirituel est aussi de savoir dormir – juste pour dormir. Dans la jungle, c’est déjà une grande lutte pour y arriver. L’écosystème est un enchevêtrement d’horloges diverses et de sommeils en pointillé. Comment dormir tranquille quand tant d’autres espèces ne se couchent pas à la même heure ? Les grands singes s’éveillent quand la chauve-souris roussette se suspend tête en bas, dans le rideau noir de ses ailes. Le python réticulé la guette. Pour bien se reposer, la proie doit veiller à être hors de portée de son prédateur. Avec les serpents, on n’est jamais certain de rien : ils n’ont pas de paupières.

Aussi dans le Lévitique (26,6), la Terre promise offre cette grande conquête : des nuits paisibles. Le juste peut y dormir du sommeil du juste : Si vous suivez mes commandements, si vous gardez mes lois … je mettrai la paix dans le pays, et personne ne troublera votre sommeil : je ferai disparaître du pays les bêtes féroces, et l’épée ne passera point par votre terre.

Le paradoxe de la veille humaine est que, pour bien veiller, il faut avoir bien dormi. Personne ne peut veillerperpétuellement. S’il faut une veille continue, je ne peux plus être seul, il faut que l’un veille sur le sommeil de l’autre incapable de se défendre. Une nuit, voilà que David se trouve dans le camp de Saül, son adversaire, et il le trouve couché et dormant, sa lance fixée à terre à son chevet : il a toute latitude pour le tuer : son capitaine et neveu Abishaï l’y encourage et se propose de le faire à sa place : Dieu livre aujourd’hui ton ennemi entre tes mains (1 S 26,7-8). Le souverain endormi est un sujet livré. Devant pareille aubaine, Saül n’aurait pas hésité une seconde. David se contente de prendre sa lance et sa cruche pour lui prouver à son réveil qu’il pouvait être son meurtrier et qu’il s’est fait gardien (celui qui doit nous garder est celui qui est aussi dans la meilleure position pour nous meurtrir).

Réécoutons Charles Péguy qui fait parler le Seigneur :

On me dit qu’il y a des hommes

qui travaillent bien et qui dorment mal

qui ne dorment pas.

Quel manque de confiance en moi, dit Dieu !

C’est presque plus grave que s’ils travaillaient mal

mais dormaient bien,

que s’ils ne travaillaient pas mais dormaient.

Car la paresse n’est pas plus grand péché

que l’inquiétude.

Ils ont le courage de travailler,

ils n’ont pas le courage de ne rien faire,

de se détendre, de se reposer, de dormir.

Celui qui ne dort pas est infidèle … l’Espérance.

La sagesse populaire – du moins de Haute-Loire – dit que « jeunesse qui veille et vieillesse qui dort sont près de la mort »… Mais dormir et veiller peuvent être signes de grande espérance.  

Jésus dit : « Veillez ! » et non pas : Veille ! » Par cet ordre, il instaure la communauté des tours de garde – que chacun soit vigilant pour son prochain, et que chacun ait des frères à qui il puisse se livrer dans la vulnérabilité de son sommeil. Joseph participe à cette garde très particulièrement. En tant que charpentier, il aide à édifier les maisons où des familles peuvent dormir à l’abri puis se relever dans une vigueur restaurée, afin d’ouvrir sa porte au jour et au pèlerin. En tant que père, il se lève la nuit pour calmer le petit, afin que sa femme puisse dormir et prendre le relais au matin.

Un anthropologue a proposé un jeu aux enfants d’une tribu africaine. Il a mis un… panier de fruits près d’un arbre et a dit aux enfants que le premier arrivé gagnait tous les fruits. Au signal, tous les enfants se sont élancés en même temps …… en se donnant la main !! Puis ils se sont assis ensemble pour profiter de leur récompense. Lorsque l’anthropologue leur a demandé pourquoi ils avaient agi ainsi alors que l’un d’entre eux aurait pu avoir tous les fruits, ils ont répondu : “Ubuntu. Comment l’un d’entre nous peut il être heureux si tous les autres sont tristes ?”UBUNTU dans la culture Xhosa signifie: “Je suis parce que Nous sommes”…

Joseph est un modèle d’espérance ; il sait dormir quand il faut et veiller pour que les autres aient la vie.

24 mars 2024 Une oreille de disciple.

La Prière eucharistique n° 1 dite Le Canon Romain, célèbre la « Bienheureuse Passion ». Comment cette série de tortures physiques, morales, psychologiques, peut-elle être appelée « bienheureuse » ? C’est que Jésus l’a vécue ainsi. Dans le film La Passion de Mel Gibson, les soldats romains s’étonnent que Jésus, avant de mettre sa croix sur ses épaules, l’embrasse. Comment Jésus a-t-il pu vivre sa Passion comme bienheureuse ? La clef est dans la prophétie d’Isaïe : « Chaque matin, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. » Jésus est depuis l’éveil de sa conscience d’enfant, en permanence à l’écoute de son Père. La croix et tout ce qui va avec n’est pas un accident. Avant de venir sur terre Dieu le Fils l’a acceptée avec son Père et le Seigneur Esprit-Saint. Et c’est en restant à l’écoute de son Père comme un coureur cycliste rivé sur l’oreillette qui lui permet d’entendre de son coach non seulement ses directives mais aussi ses conseils et ses consolations, mais surtout comme un amoureux perfusé continuellement par la Tendresse de son amoureuse. 

Pensons à Jésus disant : « Abba, voilà ce qu’ils me font ! Abba, voilà ce qu’ils disent de moi ! Abba voilà comment ils me remercient ! » Et son Abba lui disant : « Mon Jésus, tu es mon Fils bien-Aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. »

Voici une histoire réelle qui nous permet d’entrevoir la vérité de cet amour victorieux de Dieu qui ne se laisse pas abattre ni même affecter, justement parce qu’il est un amour totalement généreux et totalement gratuit. C’est une maman au chevet de son enfant. Cet enfant, à la suite d’une intoxication très grave, s’est débattu pendant 48 heures entre la vie et la mort. Dans ce combat marqué par des convulsions tétaniques, l’enfant souffre beaucoup. La maman est à son chevet pour le soutenir autant physiquement que moralement. Or quelqu’un qui passe là lui dit : “Comme vous devez souffrir de voir ainsi souffrir votre enfant !”. Alors elle fait cette réponse étonnante : “Souffrir ! Je n’en ai pas le temps”. Cette phrase étonnante nous ouvre un peu le mystère : souffrir, pour cette maman, c’eût été rester en elle-même, et donc ne pas être à son enfant. Mais sa souffrance était entièrement passée dans les soins qu’elle donnait à son enfant, dans sa main qui prenait la main de l’enfant, dans son regard qui était posé sur lui, dans son sourire et sa sollicitude à tous ses besoins. Tout son amour était passé en acte. Dieu a voulu que nous voyons traduit dans la chair et le sang, ce que le péché représente pour son amour : le coup porté sur l’Agneau ne peut pas lui briser les os, parce que ses os sont le mystère divin de l’Amour auquel on ne peut rien enlever ; et cependant cet Agneau peut être blessé au cœur. Il est toute force et toute vulnérabilité, inséparablement. Amen !

Pâques 2024 Vals et Ceyssac

Frères et sœurs, quel est le rêve d’une chenille ? Le rêve d’une chenille c’est de devenir la plus grosse de toutes les chenilles. Vous en avez vu sur des choux : elle mange elle mange elle mange. La « pôvre » ! Elle n’a rien compris. Sa destinée c’est de devenir un papillon. Mais il lui faudra muer deux ou trois fois, entrer en chrysalide et en sortir. Cela n’ira pas sans renoncement, sans souffrance. Un petit enfant de choeur qui veut devenir prêtre c’est très beau. Un jour je rencontre un jeune père de famille que je connais depuis son enfance. Ils ont huit enfants. Il m’apprend que leur plus jeune, Théophane, qui a quatre ans, est animé d’une grande passion : jouer à célébrer la messe. J’envoie presqu’aussitôt un sms à mon frère sculpteur sur bois pour lui demander de tourner un calice, un ciboire, une patène et deux cierges. Quelques jours plus tard il m’envoie une belle photo de cette petite « dînette pour dire la messe ». Je transfère le cliché aux parents de Théophane. Réaction souriante de sa maman : « Il va être fou de joie, mais… nous allons le perdre ! » (sous-entendu cela va attiser son désir de devenir prêtre, ce qui ferait grand plaisir à cette maman !) Réaction de son mari : « Nous allons avoir la messe tous les jours à la maison ! »  Comme je ne peux pas leur faire passer cette mini valise chapelle immédiatement, j’en profite pour montrer ces magnifiques objets liturgiques miniatures à un paroissien d’une soixantaine d’années qui me dit : « Moi aussi quand j’étais enfant, je jouais à dire la messe. Je me souviens : deux petits camarades y assistaient. Pour la communion, je leur donnais des petites pastilles. Et alors que la petite fille s’avançait une deuxième fois, je lui dis : « Non on ne communie qu’une fois par jour. » Mais elle m’a dit « Oui, mais moi j’aime Jésus ». 

On raconte aussi qu’un enfant qui jouait à dire la messe avait invité son petit voisin. Il avait bien remarqué que dans les églises, l’autel est toujours surélevé par rapport à l’assemblée ; il faut souvent gravir deux ou trois marches pour y accéder. Il avait donc installé une petite table en bas de l’escalier en bois qui conduisait aux chambres. Maman était contente :  les enfants jouaient très bien à dire la messe. Soudain dans l‘après-midi elle les entend se disputer. – Que se passe-t-il ? – C’est lui il veut dire la messe. Eh bien laisse lui un peu la place. Combien de fois tu l’as dite toi ? – Oui, mais c’est moi le prêtre. – Allez, fais pour une fois le fidèle, laisse-lui dire la messe…L’enfant ne dit rien mais maman voit bien qu’il boude. Puis soudain, maman le voit monter l’escalier de bois et du haut de l’escalier, il dit : « Bon d’accord, il fera le prêtre, mais moi je ferai Dieu » Un petit enfant de choeur qui veut devenir prêtre c’est très beau. Mais il faudra que le petit enfant de choeur comprenne qu’un prêtre ce n’est pas un gros enfant de choeur. Pour faire un prêtre, il faut beaucoup de temps, sept ans de séminaire et puis des crises, des renoncements, des passages douloureux.

            Les petites filles aiment beaucoup jouer avec les chaussures de leur maman. C’est très touchant une petite fillequi rêve que quand elle sera grande elle sera maman ! . Mais il faudra que la petite fille comprenne qu’une maman ce n’est pas une grosse petite fille. La petite Victoire a quatre ; elle est la cinquième d’une fratrie de six enfants. C’est une petite fille très autonome, très vive. Un jour elle surprend ses parents en discussion très serrée. Ils ne se disputent pas mais l’entretien est vigoureux. Victoire, sans quitter sa sérénité leur dit sagement : « Arrêtez de vous disputer, vous n’avez qu’à faire un plouf plouf. » .. ! Amstramgram piq et piq et colegram bour et bour et ratatam amstragram.. Victoire devra comprendre que ce n’est aussi simple. Un jour elle sera une belle maman mais il aura fallu l’adolescence, les hésitations, les fiançailles, les doutes, le mariage, l’enfantement, beaucoup de pleurs, de soucis, de crises surmontées.

Un cocon s’est ouvert, voici 2000 ans, à Jérusalem, un dimanche matin. Des hommes ont vu le papillon, l’homme nouveau, Jésus ressuscité. Ils ont eu beaucoup de mal à y croire : c’était tellement inattendu, incroyable. Il a fallu que plusieurs fois, le papillon se pose au milieu d’eux, qu’ils lui parlent, qu’il se laisse toucher, qu’il mange devant eux. Oui, ils ne rêvaient pas, c’était bien vrai. Jésus ressuscité, premier né d’entre les morts, premier cocon ouvert, premier papillon d’une multitude de papillons à venir, espérance pour les milliards de chenilles. Papillon, vie nouvelle pour l’homme, vie heureuse pour toujours, n’est-ce pas un rêve ; magnifique, oui ; mais un rêve ? Une espérance folle, une illusion, une consolation imaginée pour s’aider à ramper sur terre ? Jésus a appelé Simon « Pierre », pour nous dire : votre foi repose sur du solide ; le solide d’un fait vu, touché, entendu par des hommes précis, bien vivants. Surtout que cette vie nouvelle est commencée depuis notre baptême. Saint Jean écrit : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. (1, Jn 3,14) 

Nos deuils, que ce soit les deuils au sens propre de personnes que nous aimons, mais aussi les deuils au sens figuré par exemple pour les adolescents (deuil de l’image parfaite de soi, deuil de l’image parfaite de nos parents, deuils du rêve pour passer au projet, deuils des images infantiles de Dieu), deuils aussi au sujet de nos santés, de nos carrières, et même de nos désirs de perfection, tous nos deuils, s’ils sont vécus avec Jésus, par Jésus, en Jésus nous conduiront à la résurrection. 

Amen !

Pâques 2024 Les Carmes, Vals et Ceyssac (31 mars 2024)

Frères et sœurs,

La Veillée Pascale c’est tout simple. Quatre parties :

La Lumière. La Parole. L’Eau vive. L’Eucharistie.

Qui est Lumière, Parole, Eau Vive, Eucharistie ? Jésus ressuscité.

Toute la foi chrétienne tient sur une feuille grande comme un timbre-poste. « Jésus est Ressuscité et il veut me ressusciter ».

Jésus est vraiment sorti lui-même du tombeau.  En avons-nous la preuve ? Oui, beaucoup de preuves si nous prenons le temps de faire l’enquête. Saint Jean Chrysostome a, à cet égard, une page célèbre, à laquelle aucune investigation critique moderne n’a rien enlevé de sa force de conviction. Voilà ce qu’il disait dans une homélie au peuple : « Comment à douze hommes ignorants serait venue la pensée de lutter contre le monde entier ? […] Ne se seraient-ils pas dit à eux-mêmes : […] Il n’a pu se sauver lui-même, et il nous défendrait ? Vivant, il ne s’est pas sauvé ; et mort, il nous tendrait la main ? Vivant, il n’a pas soumis un seul peuple, et nous, à son nom seul, nous soumettrions le monde entier ? Quoi de plus déraisonnable, je ne dis pas qu’une telle entreprise, mais qu’une telle pensée ? Il est donc évident que s’ils ne l’avaient pas vu ressuscité, s’ils n’avaient pas eu la preuve la plus manifeste de sa puissance, ils n’eussent point joué un tel jeu ».

Pourquoi le monde moderne ne croit pas à la résurrection de Jésus ? Pour deux raisons : parce qu’il part d’un a priori :  la résurrection d’entre les morts est quelque chose de surnaturel, et le surnaturel n’existe pas. Mais cela c’est un préjugé, un « a priori ». Cette posture n’est pas scientifique du tout.  

Deuxièmement. Est-ce que vous savez ce qu’est l’adipsie ? L’adipsie est une absence anormale de la sensation de soif.  Les personnes âgées en souffrent. On nous le rabâche tous les étés au moment de la canicule.  Il faut les forcer à boire. Cela correspond à une moindre efficience de l’hypothalamus. Cependant ce n’est pas parce qu’on n’a pas soif qu’on ne meurt pas desséché. Il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui disent « Moi je n’ai pas besoin de Dieu ». Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas desséchés. Cela veut peut-être dire que leur hypothalamus, leur âme, ne fonctionne pas bien. Quand vous parlez à certaines personnes de la foi, elles vous disent : « Bof, moi je n’ai pas besoin ni de la religion,  ni de Dieu. J’ai de quoi manger, boire, dormir. J’essaie de faire le bien. La religion ça ne m’intéresse pas. » On voit bien que lorsque ces personnes sont soumises à l’épreuve, elles n’ont aucun recours. Et la seule solution c’est la mort : Ta vie ne te convient plus ?… La mort. Tu nous coûtes trop cher maintenant ? … La mort. Tu arrives à un mauvais moment ?… La mort. Il y a la présomption que tu auras peut-être un handicap ? … La mort.  Mgr Michel Aupetit raconte qu’il a passé un temps dans la communauté chrétienne du village François. Un jour, on lui dit qu’une dame demande avec insistance de pouvoir parler à quelqu’un. Il y va. C’est une dame d’une cinquantaine d’années, très bien mise, une certaine classe. Mais effondrée. Elle lui dit « Mais quel est mon karma pour qu’il m’arrive ce qu’il m’arrive ? » Elle venait de perdre subitement son fils de 18 ans. Elle était dévastée. Le seul recours qu’elle avait c’était une vague connaissance de la philosophie hindouiste. Elle avait regardé dans ses livres le samsara, la roue des destins, le petit véhicule, le grand véhicule. Elle avait étudié tout cela. Elle ne savait absolument rien de la foi chrétienne. C’est la majorité des Français qui sont comme cela. Elle avait tout ce qu’il fallait, des satisfactions intellectuelles avec le karma. Elle a été frappée par une épreuve épouvantable. Monseigneur Aupetit l’écoute longuement puis il lui dit : « Mais madame, on s’en fiche de votre karma. La seule question intéressante pour vous : est-ce que vous pensez que vous reverrez votre fils, un jour ? » Alors là, elle a commencé d’être intéressée. Et Mgr Aupetit a pu lui parler de l’espérance chrétienne. Est-ce que vous pensez que vous pouvez parler à votre fils aujourd’hui ? Et il lui a expliqué la Communion des Saints. Et cette dame est repartie avec l’évangile selon saint Luc qu’elle n’avait jamais lu.

Cette nuit, nous avons, exposés par la liturgie, les grands désirs de Jésus : éclairer chacun ;  pouvoir parler à chacun, lui faire confidence de son amour ;  pouvoir purifier et vivifier chacun ; et entrainer chacun dans son sacrifice pour que chacun trouve sa joie à rendre grâce au Père et à offrir sa vie au Père. Puissions-nous exaucer Jésus ressuscité  ! Amen !