Dimanche 22 décembre 2024 Visitations

Frères et sœurs, cette page d’évangile raconte la Visitation.  Mais la visitation de qui ? La Visitation de la Vierge Marie enceinte depuis quelques jours à sa cousine Elisabeth enceinte depuis six mois du futur saint Jean-Baptiste ? Oui mais surtout, c’est la visitation de Jésus à Elisabeth et à l’enfant qu’elle porte. Tout est dit dans cette scène évangélique : nous sommes sauvés en portant Jésus. La Vierge Marie est la première des sauvés. Au jour de notre baptême nous devenons autant sauveurs que sauvés. Sauveurs parce que nous portons Jésus. Dieu nous sauve en nous faisant faire.

Voici un témoignage, celui d’Anne-Dauphine Julliand, cette maman qui a perdu 3 de ses quatre enfants  et qui nous laisse entrevoir son deuil dans son petit livre « Ajouter de la vie aux jours ». Elle raconte une nuit où elle a été visitée. « Une nuit inoubliable, à l’hôpital. Arrivée en urgence avec Azylis. Son cœur qui décrochait, sa respiration qui flanchait. Avant que tout ne rentre dans l’ordre, mystérieusement. Les médecins l’ont gardée sous surveillance. Elle s’est endormie paisiblement, privilège de l’enfance. Moi je me suis enfoncée dans les ténèbres. Sans lumière, sans espoir.

    A l’heure la plus sombre, alors que même les ombres avaient fui, une infirmière s’est approchée de moi, recroquevillée sur mon lit. Elle s’est assise sans bruit, juste à côté. Avant de dire cette phrase qui m’a sauvée la vie : « Je suis là. »Pas un mot de plus. Et pourtant bien plus que des mots. Une présence, affirmée, assumée, qui a chassé, ce soir-là, la peur et la solitude. Il ne restait que la peine à vivre. L’infirmière m’a tenu compagnie dans ma souffrance. Elle ne l’a pas portée à ma place. Elle savait qu’elle ne le pouvait pas. Il appartient à chacun d’emprunter son chemin, quel que soit le poids du cœur. Mais elle m’a tendu une main pour me relever, une épaule pour m’appuyer. Tout ce dont j’avais besoin. Puis elle est repartie, aussi discrètement qu’elle était arrivée. Léger bruissement, battements d’ailes d’un ange. Elle a laissé là ce qu’elle avait apporté : un lien qui nous unissait. De ceux qui révèlent la beauté d’un cœur humain.

Dieu veut que nous le portions. Et en cela il s’expose à des ennuis ! Il y a quelques années, un prêtre célébrait l’eucharistie dans une maison de personnes âgées. L’une d’elle à qui il donnait la communion lui dit : « Merci beaucoup Monsieur, c’est gentil de nous donner ce biscuit ; et vous en donnez à tous : c’est très gentil… » ; tout en disant cela, elle s’apprêtait à mettre l’hostie dans son sac. Visiblement, ils n’étaient pas sur la même longueur d’ondes. Ce prêtre dit que cet incident l’a fait réfléchir ; non sur l’attitude de la dame, mais sur la sienne et sa façon de la vivre. Au début de son ministère, il aurait probablement été fort mal à l’aise, y voyant je ne sais quel crime de « lèse-majesté » ou, pire, de « lèse-divinité ». Vingt-cinq ans plus tard, il a pu garder son sourire et intérieurement il croit même avoir dit au Seigneur – qu’Il lui  pardonne ! –  : « Tu l’as bien cherché ! » Dieu s’est exposé … !

A Noël, nous célébrons le Fils de Dieu qui entre dans l’histoire. Est-ce que nous mesurons le risque qu’il a pris ce jour-là ? Cela a commencé dès la naissance, où Jésus a échappé de peu au glaive d’Hérode, et jusqu’à la croix où, cette fois, la lance ne l’a pas manqué. Entre ces deux événements, que de paroles mal comprises, de signes mal interprétés. Une existence “exposée”, au sens le plus fort de ce terme : livrée sans défense entre les mains des hommes qu’il a voulu rejoindre. A l’aube du christianisme déjà, les chrétiens ont senti le besoin de conserver du pain eucharistique pour les malades qui n’avaient pas pu participer au repas du Seigneur. Puis ils ont pris du temps pour honorer le signe de ce mémorial. Comme Jésus a été “exposé”, le pain eucharistique l’est tout autant. On peut entendre ainsi cette expression: “exposition du Saint Sacrement”. Le Fils de Dieu, vulnérable à l’extrême ; vulnérable aussi le pain eucharistique conservé en mémoire de Lui. Mais vulnérabilité pour quelles merveilleuses et secrètes fécondités ! Le détenu qui, dans sa cellule d’isolement, demande la “communion” ; le priant – laïc ou religieux – qui au plus aride de sa prière ne peut que durer en tentant d’être présent au signe de la Présence ; cette femme un peu “mal fagotée” qui s’est engouffrée dans une église parce que là, elle a moins froid au coeur… Nous pouvons y voir à chaque fois une trace de la “Visitation” de Dieu qui vient dire à l’homme, comme à Noël : “Ne crains pas, je m’appelle Emmanuel, “Dieu avec nous”.”

Et il ne faut jamais oublier que le Seigneur qui se donne dans  la plus grande proximité est aussi l’Au-delà de tout. C’est d’autant plus bouleversant ! Dieu créateur ne considère pas les créatures comme des concurrents puisqu’il est hors sujet, hors norme et transcendant… Au contraire, il est glorifié par le fait que ce qu’il peut faire tout seul, il se réjouit de le faire faire les uns par les autres, les uns pour les autres et en particulier en mettant les forts, les grands, au service des petits. Le Christ a sauvé tout le monde avec d’abord la Vierge Marie (il n’a rien fait sans elle), ensuite il agrège saint Jean Baptiste, saint Joseph, saint Pierre et saint Paul, toute l’Église et chacun d’entre nous. Amen !

Les bonus : Lecture du Petit Prince : https://youtu.be/8-uScmZrDE4?feature=shared