Sœur Sainte-Jeanne
Au sens figuré, on peut « perdre la boussole », c’est-à-dire « perdre le Nord »…
Dans le monde un peu déboussolé où nous vivons, les religieux et religieuses, tous ordres confondus, de vieilles souches ou de jeunes racines, en habit ou non, en monastère ou HLM, sont nos meilleures boussoles !
Je vous parle aujourd’hui d’une amie morte en l’an 2000 à l’approche de ses 90 ans, une religieuse que l’on appelle en Haute-Loire une béate parce que sa fonction était de vivre dans un hameau pour y être tout à la fois garde-malade, animatrice du mois de Marie, catéchiste, institutrice pour les enfants avant qu’ils ne puissent rejoindre l’école du bourg, conseillère conjugale, assistante sociale, infirmière.
1. Pauvreté. Nous vivons dans l’espoir compréhensible de l’indépendance financière et même souvent dans la fascination de l’argent. Et voilà qu’ils cherchent une autre richesse dans le partage librement consenti de leurs biens, dans la reddition précise des comptes et le don des excédents à plus pauvres qu’eux. Sœur Sainte-Jeanne est décédée sans laisser ni d’argent ne de bien à ses petits neveux. Sa foi était peut-être mystique mais elle ne sentait pas le renfermé. Elle s’étonnait que certains puissent être si peu tournés vers les autres. Alors que l’on venait d’enterrer une personne – la dernière d’une famille dont la lignée venait donc de s’achever – elle a commenté : « Ce n’était pas du mauvais monde ; ils n’ont jamais fait de tort à personne » Puis, après un petit temps de silence : « …et du bien non plus. » Dans cette petite chute (dite dans la discrétion), elle ne jugeait pas mais disait que pour elle la foi ne peut être qu’agissante.
2. Communauté. Nous accordons une grande importance à la sélection de nos amis. Et voilà qu’ils cherchent à réussir une vraie vie fraternelle sans s’être choisis. Ils y parviennent dans la plupart des cas et même pour de nombreuses décennies dans les monastères. Petite anecdote de l’enfance de sœur Sainte–Jeanne : la sœur de l’école maternelle – l’ « asile », comme on disait à l’époque – lui reproche le fait que sa petite sœur ait cassé une tasse, un jour. Elle répond que si elle l’a cassée, leurs parents ont bien dû la payer. La sœur lui dit alors : « Tu iras te confesser d’avoir raisonné une religieuse. » (On n’emploie plus beaucoup ce mot aujourd’hui. Il signifiait « contredire, rouspéter, se permettre de se défendre. On ne trouve plus cette accusation dans les examens de conscience pour les enfants, ni pour les adultes.) Tu iras te confesser d’avoir raisonné une religieuse. Elle est allée se confesser mais elle a continué à raisonner les religieuses, ses supérieures ou ses consœurs, et même les prêtres, chaque fois qu’ils manquaient à leur devoir de justice Cependant elle le faisait toujours en privé, jamais devant des tiers. Elle savait qu’on a le devoir d’éclairer les autres, même les supérieurs dans leur devoir d’état pourvu qu’on le fasse dans un esprit de charité. Elle résumait cela d’une formule : « Les prêtres, je les attaque souvent mais je les défends toujours. »
3. Chasteté. Nous croyons impossible l’épanouissement affectif sans la rencontre sexuelle. Et voilà qu’ils accèdent, non sans batailles parfois mais en vérité, à une autre manière d’aimer et de servir passionnément, dans le célibat consacré qu’ils choisissent. Le sens de la répartie de Sœur Sainte-Jeanne avait quelque chose des invectives des prophètes. Une fois elle avait rendu quelques menus services à un homme séparé de sa femme, dont le divorce allait être prononcé. Elle lui avait cousu des ourlets et raccommodé des pull-overs. Sa femme l’ayant appris, en a été très jalouse. Elle vient voir sœur Sainte Jeanne et lui dit d’un air pincé : « Si vous voulez mon mari, vous n’avez qu’à le prendre ». La réponse ne s’est pas fait attendre : « Vous savez, si j’en avais voulu un, je n’aurais pas attendu vos restes. » Mais en racontant cette anecdote, elle ajoutait : « Je regrette de lui avoir répondu ça… J’aurais dû dire à cette dame : Vous voyez bien que vous l’aimez encore puisque vous vous inquiétez que quelqu’un s’occupe de lui . »
4. Obéissance. Nous aimons notre liberté. Et voilà qu’ils choisissent de dépendre les uns des autres, et même des supérieurs qu’ils se donnent pour un temps, et qui rentrent humblement dans le rang à la fin de leur mandat… Elle racontait qu’un jour au cours de son année de formation au Puy, elle dit le mot de cinq lettres à une soeur plutôt grincheuse Cette soeur va se plaindre à la supérieure qui dit à soeur Sainte-Jeanne : Vous passerez me voir, je vous apprendrai la politesse . Elle n’est jamais passée. Elle avait compris que pour la supérieure l’incident était clos avec cette seule remarque. Cela, c’était sa finesse d’esprit, son intelligence des situations. Un soir avant la messe de 18 h 30, monsieur le curé et soeur Sainte-Jeanne regardaient les photographies exposées dans la chapelle d’hiver, de la béatification de soeur Eugénie Joubert le 20 novembre 1994. On la voit avec le Saint-Père. Monsieur le curé lui dit : « Vous lui parliez ; qu’est-ce que vous lui disiez ? » Elle a simplement répondu : « Je lui parlais, oui, mais j’avais préparé mon affaire, avec ce monde-là, il faut savoir ce qu’on dit. »
Autre fait qui dénote son caractère aussi vif que humble : un jour, en entrant dans un magasin, sans le faire exprès et sans tellement s’en rendre compte, elle accroche avec son sac-à-main un petit enfant. Deux ou trois jours plus tard, la maman de ce petit l’arrête et lui dit, d’un ton énervé, qu’elle devrait lui faire des excuses. Soeur Jeanne est tellement surprise de cette demande qu’elle balbutie : Je ne vois pas tellement pourquoi je devrais vous faire des excuses Mais la personne insiste. Alors pour couper court, soeur Jeanne se met devant elle, à genoux et les bras en croix Quand elle a levé la tête, il n’y avait plus personne .
Autre signe à la fois de son humilité et de son sens de la répartie : un jour, comme très souvent, elle est à l’église, à genoux, les mains sur l’accoudoir. Le Père curé lui dit à l’oreille avec un peu de malice : « Vous êtes édifiante ». Elle répond du tac au tac : « Vous n’êtes pas difficile ». C’est à dire « vous vous contentez de peu.
Revenons à la boussole : les religieux et religieuses en sont l’aiguille ; leur pivot, c’est Jésus : et le Nord, c’est la sainteté, ni plus ni moins. Ils nous la désignent et la cherchent en essayant de prendre tous les raccourcis.
Un jeudi matin, les prêtres attendaient l’heure de la messe dans la petite sacristie de la chapelle des Pénitents. Elle entre en trombe. Le Père Roger lui dit en souriant : Où est-ce que vous allez si vite ? — Eh bien au Ciel, pardi !
Nous avons pour la plupart une autre et non moins belle vocation, quelle qu’elle soit. Mais nous avons tous besoin… d’une boussole : pour éviter les trop grands détours et garder goût de Ciel !
Les bonus : (3564) Pourquoi certains souffrent plus que d’autres ? | La foi en débat – RCF Anjou – YouTube