Samedi 4 janvier 2024 pratiquer la justice
Lecture de la première lettre de saint Jean (1 Jn 3, 7-10) : « Petits enfants, que nul ne vous égare : celui qui pratique la justice est juste comme lui, Jésus, est juste ; celui qui commet le péché est du diable, car, depuis le commencement, le diable est pécheur. C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu s’est manifesté. Quiconque est né de Dieu ne commet pas de péché, car ce qui a été semé par Dieu demeure en lui : il ne peut donc pas pécher, puisqu’il est né de Dieu. Voici comment se manifestent les enfants de Dieu et les enfants du diable : quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère. »
Quatre fois dans ce court texte, saint Jean parle de justice. En guise de rebond sur ces explications de saint Jean, voici un extrait d’une conférence de carême pleine d’humour du Père Guillaume de Menthière. « Le Christ qui aime tout être humain d’un amour éternel et infini, appelle chacun à des rôles particuliers. Il veut le bien de tous, mais il ne donne pas tous les biens à tous. Nous ne sommes pas à ses yeux des pions interchangeables, nous avons une place qu’il nous assigne avec sagesse et par amour. C’est un des points sur lequel la mentalité égalitariste de notre époque achoppe souvent. Tout ce qui est donné à l’un, pense-t-on aujourd’hui, doit être aussi donné à l’autre, sous peine d’iniquité. Y’a pas de raison ! Si quelqu’un possède quelque chose, tout le monde y a droit, sans quoi il faut dénoncer le pire des crimes : la discrimination ! Ces sortes de conceptions égalitaristes sont poussées de nos jours à un tel paroxysme qu’il faut que je vous narre, l’aventure qui m’advint tandis que j’expliquai au catéchisme l’appel des douze apôtres par Jésus. Une petite fille courroucée, Amélie, se leva pour dénoncer une injustice. Je crus qu’elle allait faire valoir quelques considérations féministes, réclamer qu’il y eût des femmes parmi les Douze, revendiquer le droit que les petites filles pussent devenir prêtre comme les autres, ou quelques exigences de cet ordre bien dans l’air du temps. Mais pas du tout. Amélie était bien plus cohérente. Elle poussait la logique égalitariste jusqu’en son dernier retranchement. L’injustice qu’elle prétendait dénoncer, était, somme toute, l’injustice en son principe, la mère de toutes les injustices. « Moi, dit-elle avec un aplomb qui me laissa abasourdi, moi je trouve que c’est injuste que ce soit toujours le même qui soit Dieu, il faudrait que ça change ». Un peu comme dans la cour de récréation ce n’est pas toujours le même le chat, ou comme au bridge ce n’est pas toujours le même le mort, il faut que les rôles puissent passer de l’un à l’autre. Et cette petite fille étonnante nous expliqua les bras croisés et le front buté qu’elle attendait son tour d’être Dieu ! Elle n’en démordrait pas, sinon tout simplement, elle ne jouerait plus….
Les enfants nous le savons, ont toujours des intuitions théologiques profondes et de fait il n’est pas faux que nous soyons appelés à être Dieu. Sans avoir lu les Pères de l’Église, Amélie disait à sa manière un peu raide la grande intuition de l’admirable échange qui fait le fond de l’histoire du salut. Elle reprenait sans le connaître les mots du grand Athanase : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». Mais comme son aïeule Ève, la petite écolière devait apprendre à recevoir comme un don ce qu’elle revendiquait comme un droit. Oui, Amélie, c’est bien la vie divine que le Seigneur a résolu de te donner, non pas pour que tu règnes à sa place, mais pour que tu partages sa vie et son bonheur.»
Au-delà du côté amusant du désir de cette petite fille, il faut que nous fassions attention. Souvent nous pensons et agissons comme si nous étions les seules personnes qui soient des sujets personnels et pas Dieu. Tout se passe comme si Dieu, le Christ ne seraient que les objets de nos actions et non pas des Sujets Personnels en eux-mêmes. Nous ne parlons que de ce qu’ils font pour nous et de ce que nous déterminons par rapport à eux. Quant à ce qu’ils sont en eux-mêmes, aux mystères qu’ils ont révélés de leur nature, de leur vie spirituelle infinie, la transcendance divine de l’intimité qu’il nous ouvre, cela ne semble pas nous intéresser ni nous concerner. Alors que pourtant, la vie chrétienne n’est pas que Dieu vient à notre secours seulement, mais que nous anticipons ici-bas ce qui sera notre lot en Lui, par Lui et POUR Lui. Bref, il y a une sorte d’enfouissement de tout le mystère chrétien dans le sujet pensant que nous sommes, au lieu de son ouverture aux horizons surnaturels qui ne sont pas de nous mais de lui, qui sont lui-même et non pas nous ni notre monde. Au fond, nous ne pensons pas que nos péchés l’offensent; nous faisons comme si nos réactions ne suscitaient rien en lui, et nous n’en avons cure. La caricature serait un chrétien super actif et tout en Dieu qui claque des doigts pour mobiliser Le Seigneur cent fois par jour à ses affaires et relations et qui en est ravi, le louant pour ses merveilles mais au fond sans jamais lui accorder même un regard; son temps de prière interrompu cinq fois par des sms d’intentions à envoyer ou à recevoir dans l’urgence, entre les alléluias et les merci Seigneur. Mais quid de l’adoration, du silence, de Dieu seul ? N’est-ce pas là pourtant que se situe d’abord la Justice ?
Les bonus : Mon premier reportage : Arménie, la persécution qui n’intéresse personne @AEDFRANCE