Mardi 25 février 2025 Et les épreuves ?

Le Seigneur nous prévient :  dans le livre de la Sagesse, il parle d’épreuve et même d’humiliations pour qui veut se mettre à son service.

Voici un exemple raconté par Doudou Callens dans son livre autobiographique L’amour souffle où il veut. Puisse-t-il nous rassurer voire nous encourager.  

Le missionnaire avait été déposé en Jeep par son Evêque, une soirée de 1955. Il ne parlait pas un mot de la langue des Jörai. En guise de consigne, un défi :

      –    Essaie de rester plus longtemps que tes prédécesseurs, le dernier a tenu trois mois.

                Il s’était accroché, comme un athlète. Il avait appris, mot par mot, à la tremblante lumière d’une lampe-tempête, durant les interminables nuits de solitude. Il avait apprivoisé chaque habitant, s’était fait accepter, puis les années passant, il avait commencé à former des catéchumènes.              

                Un jour, alors que la sècheresse persistait, il avait expliqué le sens des Rogations. La prière au Créateur pour qu’Il bénisse le fruit de la terre et le travail des hommes, et qu’il donne la pluie. Quoi de plus naturel que ces prières d’intercession des hommes et des femmes de tous les temps pour demander à Dieu la protection contre les dangers du ciel, et l’abondance des fruits de la terre…, etc. Mais il avait expliqué plus longtemps encore le sens de la prière, et la différence avec la magie.

Il n’avait pas plu.

Le lendemain, le mage sorcier shaman fit ses sacrifices aux yangs. Et, à la dernière goutte de sang de poulet, la pluie tomba. L’inverse d’Elie.

Le missionnaire perdit tous ses catéchumènes et se retrouva seul. Il attendit l’Evêque, qui le visitait deux ou trois fois par an, pour rentrer.

Il n’avait personne à qui parler…Il occupa ses heures devant le Saint-Sacrement. A genoux, le front buté sur le rebord de la table autel, ou penché sur l’hostie après la consécration, il exprimait à son Seigneur, si humblement présent…mai si incompréhensible parfois, toute son amertume :

  • O mon Dieu, que tu n’aies pas fait pleuvoir à ma demande, je comprends. Que Tu ne veuilles pas passer outre les lois de ta création que Tu as Toi même disposées, et qui provoquaient la sècheresse, je comprends. Je connais la distinction de Thomas d’Aquin. Tu es la Cause des causes, et tu aimes agir par les causes secondes, qui opèrent selon leur nature, etc.

Je sais que pour qu’il pleuve, il faut qu’il y ait condensation de la vapeur d’eau, qui ne se produit que s’il y a des noyaux micrométriques, constitués de sel de mer, de particules de fumée, de poussière…sans ces noyaux, pas de nuage…

Je sais que lorsque le nuage est formé, on est encore bien loin de la pluie…qu’il faut, pour obtenir une goutte d’eau, le rassemblement d’environ un million de gouttelettes qui s’agglomèrent au hasard – si Tu me permets l’utilisation du mot – au gré donc des turbulences, dues à des différences intimes de chaleur, au vent, au relief…que ces gouttes d’eau plus lourdes finissent par tomber de plus en plus vite, tout en continuant de capturer des gouttelettes jusqu’à l’obtention d’une taille de quatre à six millimètres  pour s’écraser enfin sur nos cultures, à une vitesse moyenne de six cents centimètres par seconde…Ce qui caractérise une bonne averse…

Mon dieu, je ne te demandais pas un miracle quoi que…Mais Tu sais tout et Tu sais bien que je crois que Tu peux, si tu veux, agir très discrètement et sans les violenter les lois que Tu inventas, et qui régissent cristaux, noyaux et gouttelettes…Alors que dans Ta sagesse, et non à cause de mon manque de foi, j’insiste…tu n’aies pas cru bon d’exécuter un petit miracle, pour ne pas inciter nos Jörai à la magie, j’adhère…

Mais que tu aies permis, aux yangs et autres esprits, d’utiliser tes causes secondes – ou de les brutaliser, qu’en sais-je ?, – pour faire pleuvoir, et ce, le lendemain même de ma prière…saut ton respect, c’est justement magique et je ne suis pas ‘accord…et je suis même fâché…

Il était très fâché et pris la résolution, qui se révéla sage, de ne partir que quand il ne le serait plus. L’évêque passa, mais il demeura.

Un matin il se réveilla dans une douceur, une légèreté et une joie inexplicables. Il avait pardonné. Il n’en voulait plus à son Dieu. Et comme il n’était plus fâché, il décida de rester, et recommença son dur job de missionnaire tel qu’il croyait devoir le faire : apprendre, comprendre, adapter…Et les années s’écoulèrent. En 1969, il passa la relève aux rédemptoristes…Et voilà !

  • C’est cela, le premier signe distinctif de l’apôtre : la constance, conclut un des narrateurs, les deux mains immobiles posées à plat devant lui.

Je savais qu’il avait été emprisonné de longues années par les Communistes. Je regardais ses mains déformées, usées. Il ne m’était pas bien difficile de les imaginer attachées derrière le dos, jointes pour prier, essuyer des larmes sur une joue, baptisant, consacrant…Je pensais aux mains jointes de saint Paul. Les traits distinctifs de l’apôtre. Dieu n’attendait pas de nous la réussite, mais avant tout, avant même l’exercice de précieux charismes, dieu misait sur notre constance…

Demeurer avec constance dans son amour.

  • Et que devint ce village ?
  • Aujourd‘hui, il est entièrement baptisé. Il a donné des prêtres.

Fin. Je n’avais pas le plus micrométrique objection.

                Par la suite, je racontais ce témoignage lors d’interventions, pour illustrer les fruits de la persévérance et de la fidélité. J’invitais à imaginer que Dieu eût dialogué avec ce missionnaire, à la manière romancée de Don Camillo :

      –  Je te donne le choix. je fais pleuvoir à la fin de la Messe, et tu triples tes catéchumènes, ou je ne fais pas pleuvoir, mais plus tard, ton village se convertira, ils seront tous baptisés…

Ô, merci Seigneur, vraiment c’est…trop ! Enfin, je veux dire que c’est formidable. C’est cela que je désire bien sûr. Ne fais pas pleuvoir, je t’en prie !

      –    Et, dans cette humiliation, avec un petit effort de patience et de confiance de ta part, je peux même appeler dans ce village des vocations sacerdotales…après ton départ…

      –    Mon Seigneur, tout ce que tu veux …Tout.

      –    Bien, je t’exauce.

      –    … !

      –   Maintenant Seigneur, je comprends tout : pas de pluie et l’humiliation pour moi, averse et succès pour le shaman, les baptêmes pour Toi ! Pardon de m’être fâché. Merci d’avoir bien voulu rendre féconde ma pauvre fidélité. Tu m’as exaucé au-delà de mes désirs…Mais je ne me rappelle pas t’avoir entendu me proposer ce choix, voilà c’est pourquoi je l’ai mal pris…il y a eu un problème de communications…

     –    Je ne t’ai rien expliqué parce que j’étais sûr que tu dirais oui !

Je savais que tu serais d’accord ! Je n’ai pas tenu compte de ta mauvaise humeur passagère, car je savais pouvoir te faire confiance…

  • Mon Seigneur et mon Dieu.

Les bonus : « Je me suis dit que je ne m’en remettrai jamais ».