Samedi 21 décembre 2024 Ma colombe

Lecture du Cantique des Cantiques (Ct 2, 8-14) : « La voix de mon bien-aimé ! C’est lui, il vient… Il bondit sur les montagnes, il court sur les collines, mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit : Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens…Vois, l’hiver s’en est allé, les pluies ont cessé, elles se sont enfuies.Sur la terre apparaissent les fleurs, le temps des chansons est venu et la voix de la tourterelle s’entend sur notre terre.Le figuier a formé ses premiers fruits, la vigne fleurie exhale sa bonne odeur. Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens…Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans les retraites escarpées, que je voie ton visage, que j’entende ta voix ! Ta voix est douce et ton visage, charmant. »

Claude, un homme d’un certain âge rencontre un jour un bon camarade, ancien du même collège que lui : Gilles. Ils sont tout heureux de se retrouver ainsi par providence. Claude invite donc Gilles à prendre le dîner chez lui. Sa petite femme reçoit volontiers ; une heure après, elle leur sert le repas. Quand elle apporte l’entrée, Claude ne tarit pas d’éloges : « Ma petite biche, ma puce, tu nous as préparé quelque chose de magnifique. Ma tourterelle, tu t’es surpassée. Mon chaton, ce plat est aussi bon que beau. » Quand elle apporte le plat de résistance, les litanies continuent « Mon minou, qu’est-ce que c’est bon ! Ma colombe, tu es un vrai cordon bleu ! Ma chérie, mon lapin, c’est vraiment délicieux ». Au moment où il goûte plusieurs fromages du plateau, il lui dit encore : « Ma minette, mon canard, tu as vraiment bien choisi ! Mon chatounet, mon poussin, ces fromages sont vraiment exquis. » Au moment où elle retourne à la cuisine, Gilles, son copain de collège, lui dit à voix basse : « A plus de cinquante ans de mariage, c’est vraiment formidable que tu lui donnes tous ces petits noms ! » Alors Claude répond, un peu confus : « C’est que… pour tout te dire… j’ai oublié son prénom. »

Les amoureux se donnent volontiers de doux petits noms. Il est touchant de retrouver ces appellations non contrôlées dans la Bible, notamment dans le cantique des Cantiques.

On pourrait dire que ce Livre est un chant d’initiation à l’amour. Car il y a une évolution. Ainsi, une des premières remarques du bien-aimé dans le Cantique des Cantiques est tout à fait déplacée. Il lui dit à la fin du chapitre 1 verset 5/6 « comme une jument dans les chars du Pharaon, ainsi es-tu ma belle ». On dirait aujourd’hui, tu ressembles à une Ferrari ou à une Maserati. C’est-à-dire qu’il la voit d’abord comme un bel objet ; mais il va progresser.

Ce livre serait un petit guide du parfait amoureux, mais pourquoi se trouve-t-il dans la Bible ? La Bible est d’abord un livre de révélations divines ! Or, on ne parle pas du tout de Dieu apparemment, on y parle juste d’un homme et d’une femme qui s’aiment éperdument et qui se disent leur amour. Le mot Dieu apparaît une fois au chapitre 8 du verset 6, c’est la seule mention du mot divin : « une flamme divine ». Et c’est seulement une évocation poétique. Que fait donc un livre laïque dans la Bible ?  On sait qu’il y a eu des discussions quand les sages et les rabbins se sont réunis vers la fin du Ier siècle, début du IIeme, pour décider du canon biblique: on ne voulait pas garder le Cantique des cantiques. A ce moment-là, Rabbi Aquiba dit: «  Gardez-le, c’est le Saint des Saints. » Donc ce n’est pas un texte annexe. Il dit que c’est le cœur de la révélation.

Mais alors, comment le cœur de la révélation peut-il être sans Dieu ? Il y a une expression que le cantique des cantiques reprend par trois fois. Par trois fois, l’amant dit à la bien-aimée : « Va-t-en » (par exemple le tout  dernier verset (8,14). C’est exactement ce que dit Dieu à Abraham au chapitre 12 du livre de la Genèse lorsqu’il dit « va-t-en ! » de ton pays, du lieu où tu es né, de la maison de ton père, vers la terre que je te montrerai. Mais le sens littéral c’est « va vers toi, va pour toi ». C’est exactement ce que dit le bien-aimé à la bien-aimée. Il dit « va pour toi, va vers toi ». Cela veut dire que la présence du bien-aimé va aider la bien-aimée à se trouver elle-même.

C’est cela l’amour. Le véritable amour n’est pas celui qui exige de l’aimé(e) que son désir vienne vers moi. Le véritable amour est celui qui désire le désir de l’autre, pour lui-même, par lui-même. Et il y a un risque : que la bien-aimée le laisse. Dieu prend le risque que son peuple aille d’un autre côté. Mais par amour, je te laisse libre… C’est un grand mystère la liberté que Dieu laisse à l’homme ! L’amour permet à l’autre d’exister par et pour lui-même en gardant bien sûr une relation, mais une relation dont je ne détermine plus à l’avance la teneur. Et il se peut donc que le désir de l’autre aille dans un sens qui n’est pas celui que je veux. Mais, c’est bien ça l’amour. C’est le fait de vouloir l’autre, non pas pour moi, mais pour lui-même. Or, ça c’est très difficile, c’est presque impossible. Le cantique des cantiques a cette force de dire cette relation d’amour gratuite et exigeante aussi. Noël arrive pour que nous nous servions de notre liberté dans le bon sens.

Les bonus : https://youtu.be/902u1NLePP8?si=x2EN6rUMD1EJWb0N